Par Solène Cordier Publié le 30 août 2022
Au déficit structurel de places pour accueillir les enfants de moins de 3 ans s’ajoute le manque criant de professionnels qui désertent le métier depuis la crise sanitaire.
Arrêter de travailler faute de pouvoir faire garder son bébé ? Justine (son prénom a été modifié à sa demande) ne l’avait pas prévu. Et pourtant. Bien qu’elle et son mari aient entrepris dès sa grossesse toutes les démarches pour trouver un mode de garde pour leur fille, la jeune femme de 31 ans a finalement dû se résoudre à poser un congé parental de trois mois à l’issue de son congé maternité. « J’avais anticipé dès novembre, en demandant une place en crèche pour ma reprise prévue en juin », confie cette habitante de Rueil-Malmaison (Hauts-de-Seine) contactée après un appel à témoignages publié sur Lemonde.fr.
« Quelle désillusion quand nous avons déposé notre dossier et qu’on nous a indiqué à la mairie que les demandes ne seront pas traitées avant la rentrée 2022, et que de toute manière nous n’aurons pas de place car la ville privilégie les habitants ayant le plus d’ancienneté dans la ville », dénonce Justine, récemment installée dans sa commune. Leur fille naît en mars et le couple renonce à son souhait d’obtenir une place en structure collective. Justine contacte toutes les assistantes maternelles à la ronde. En vain, dans un premier temps. Sans solution, elle est finalement contrainte de poser un congé parental.
Alors quand, après de multiples refus, ils parviennent enfin à signer un contrat avec une professionnelle nouvellement arrivée dans le département qui s’engage à s’occuper de leur fille à partir de septembre, pas question de discuter les horaires ou la rémunération. Ils devront débourser 930 euros par mois plus les frais liés aux repas, desquels ils déduiront 182 euros versés par la Caisse d’allocations familiales (CAF). Cet arrangement, s’il pèse lourd sur les revenus du ménage, est le seul moyen pour Justine de reprendre le chemin du travail. Avec une certaine amertume toutefois : « A l’heure où l’on dénonce les inégalités femmes-hommes, combien sont obligées de se sacrifier à cause de tout cela ? », interroge-t-elle.
« Des soirées à faire des calculs »
Habitante d’Angers, Loreleï R. est dans la même situation. La naissance de son deuxième fils est attendue en septembre. Avec son compagnon, ils ont anticipé et fait le tour de toutes les possibilités : crèches et microcrèches, assistantes maternelles, relais d’assistantes maternelles… sans succès. « La seule solution qu’on ait trouvée, c’est une microcrèche qui nous coûterait l’équivalent de mon salaire, 1 400 euros par mois », témoigne la jeune femme de 30 ans. « On n’a pourtant pas de demande atypique, on cherche une garde du lundi au vendredi, de 8 heures à 17 h 30 ».
Depuis des mois, le sujet est au centre de leurs discussions. « On a passé des soirées à faire des calculs dans tous les sens, et on s’est finalement résolus à ce que je prenne un congé parental d’un an, comme c’est moi qui ai le salaire le moins élevé… en espérant qu’on aura trouvé une solution pour la rentrée de septembre 2023 », positive la jeune femme, inquiète des répercussions financières de ce choix contraint.
Les difficultés pour trouver un mode de garde ne sont certes pas un sujet nouveau pour les parents des enfants de moins de 3 ans ; selon les chiffres de la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF), en 2019, la capacité théorique d’accueil était de 1 345 700 places, soit 59,8 places pour 100 enfants âgés de moins de 3 ans. Mais en cette rentrée, la question se pose avec davantage d’acuité. Au déficit structurel de places s’ajoute en effet le manque criant de professionnels de la petite enfance, qui désertent le métier depuis la crise sanitaire.
Appels réguliers aux crèches
Selon une étude de la CNAF, la pénurie est particulièrement flagrante dans les grandes agglomérations, qui concentrent par ailleurs les structures d’accueil collectif. Avec des répercussions en chaîne : places gelées, réduction des horaires d’accueil… Camille H. vit dans le 18e arrondissement de Paris. Elle est mère de deux enfants, dont le plus jeune est né en janvier 2021. « Pour l’aîné, qui a 5 ans et demi, on n’avait eu aucun problème pour trouver une place en crèche », raconte-t-elle. Impossible en revanche pour le second d’en obtenir une.
Le couple se tourne donc vers un système de garde partagée en septembre 2021. Son mari étant en reconversion professionnelle, la garde de leur fils représente 35 % des revenus du couple pendant un an. « Mon mari gagnait 1 190 euros et la nounou nous coûtait 1 160 euros par mois », résume Camille, qui travaille dans la levée de fonds. Ces derniers mois, elle a remué ciel et terre pour trouver une solution moins coûteuse pour la rentrée. Des « démarches ubuesques » qui passent par le siège du service de la petite enfance de sa mairie d’arrondissement, la sollicitation de toutes les assistantes maternelles, les appels réguliers aux crèches de son quartier et même le recours à un pédopsychiatre, qui recommande le placement en collectivité de son enfant pour améliorer son développement.
Après avoir enfin obtenu une place dans une structure municipale, et appris dans la foulée que, faute de personnels, son enfant ne pourrait finalement pas être accueilli, c’est grâce aux services de protection maternelle et infantile (PMI) qu’elle a eu connaissance de l’ouverture prochaine d’une crèche associative et obtenu une place pour la fin septembre. Elle respire enfin. « Dans mon entourage, il y a plein de parents de jeunes enfants qui traversent la même galère, assure-t-elle. Nous, on voudrait bien faire un troisième enfant, mais c’est clairement un frein. La seule question que je me pose, ce n’est pas le coût que ça entraînerait, ni la place dans notre appartement… c’est comment il serait gardé. »
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