Par Amanda Chaparro Publié le 30 août 2022
Quelques heures avant que la Cour suprême du Pérou se prononce sur le cas d’Ana Estrada, Josefina Miro Quesada, l’une de ses avocates, se disait confiante. « La médiatisation d’Ana, son histoire, ont touché l’opinion publique, nous confiait-elle. Elle a permis de ne pas tomber dans un débat abstrait sur l’euthanasie – qui peut générer une peur chez les gens à cause de leurs convictions religieuses –, mais de montrer un combat singulier, qui a réussi à générer de l’empathie », estime l’avocate.
Me Miro Quesada avait raison. Le 14 juillet, la plus haute instance judiciaire du pays, confirmait par quatre votes contre deux la décision initiale d’une cour supérieure de justice, datant du 22 février 2021, donnant le droit à Ana Estrada de recourir à une mort assistée « le moment voulu ».
Une première au Pérou, qui fait de cet arrêt un événement « historique », a jugé le bureau du Défenseur du peuple, qui a soutenu ce combat. Une « conquête des droits humains », qui plus est dans un pays conservateur à prédominance catholique, où « l’Etat, bien que laïque, subit l’interférence de la religion dans la pratique des décisions publiques », rappelle l’avocate. Les droits pour la liberté à décider sont minces. L’avortement, même en cas de viol, est proscrit et pénalement condamnable.
Dans son fauteuil roulant, Ana Estrada, qui souffre depuis ses 12 ans d’une maladie dégénérative, a reçu la nouvelle avec émotion. Cette femme, diplômée de psychologie, est atteinte d’une polymyosite (famille des myopathies), maladie rare et incurable, qui entraîne l’inflammation des muscles et génère des difficultés respiratoires. Ce qui l’oblige à être intubée pour respirer et s’alimenter. Depuis ses 20 ans, elle se déplace en fauteuil et reste couchée la plupart du temps. En 2015, son état de santé s’aggrave. Elle contracte une pneumonie qui la mène un an en soins intensifs. Affaiblie, elle sombre dans une profonde dépression. « C’est comme être prisonnière dans mon propre corps, vingt-quatre heures sur vingt-quatre », écrit-elle sur son blog, qu’elle tient depuis 2019.
Le droit à une « mort digne »
Ana Estrada lance alors une pétition pour « choisir quand mourir », ce qui lui donne une certaine médiatisation au Pérou. Lors les audiences de février 2021, elle avait pris la parole pour rappeler le sens de son combat. « Je ne demande pas à ce qu’on me laisse mourir, je demande un droit à choisir quand je ne voudrai plus vivre. De décider quand et comment mettre fin à mes douleurs, quand la maladie aura avancé à un point insoutenable. J’ai besoin de savoir que je dispose de cet outil, de cette possibilité, et que personne ne sera poursuivi ou condamné pour m’avoir aidé. »
L’arrêt de la Cour suprême annule l’effectivité de l’article 112 du code pénal pour son cas, qui qualifie le délit l’euthanasie d’« homicide », et punit de trois ans d’emprisonnement toute personne qui y aurait recours. La Cour a ainsi reconnu que la Constitution péruvienne reconnaît le droit à une « mort digne » et que « vivre dans la dignité, signifie du début à la fin de la vie », commente Me Miro Quesada.
Néanmoins, les obstacles n’ont pas manqué tout au long de son combat. Même une fois la décision rendue, la question du protocole pour sa mise en œuvre restait en suspens. L’un des juges de la Cour suprême a ainsi tenté de conditionner l’accès à l’euthanasie à l’intervention de l’Eglise. Il exigeait un droit de visite périodique de représentants d’organisations religieuses à Ana Estrada, avant sa mort. Une ultime façon de « tenter de la persuader d’y renoncer », s’est indignée son avocate. Un prérequis finalement écarté.
Si la décision de la Cour suprême ne change pas la loi, et ne s’applique que pour le cas d’Ana Estrada, ses avocats estiment que c’est une victoire pour le pays, « ouvrant la voie » à d’autres personnes qui voudraient y avoir recours. Elles auront désormais un précédent sur lequel s’appuyer.
Euthanasie dépénalisée en Colombie depuis 1997
Cela fait du Pérou le second pays d’Amérique latine, après la Colombie, à reconnaître le droit à l’euthanasie. Dans le pays voisin, elle est dépénalisée depuis 1997 et autorisée sous conditions par une réglementation ministérielle de 2015 (sans toutefois faire l’objet d’une loi spécifique). Aussi, la Cour constitutionnelle colombienne a autorisé, en mai 2022, le suicide assisté par médicaments pour les patients souffrant d’une maladie rare ou incurable.
Au Pérou, il est peu probable non plus que le Parlement ouvre un débat sur ce thème et légifère. Dominé par des conservateurs, que ce soit des députés de droite ou de gauche, il bloque au contraire toutes tentatives de réformes sociétales, notamment sur les droits des femmes et l’éducation liée aux enjeux de genre. « Mais quand la politique ne s’empare pas de ces thèmes, cela finit par être la justice, les tribunaux, qui comblent ce vide », se réjouit Josefina Miro Quesada.
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