Par Sylvie Lecherbonnier et Violaine Morin Publié le 1er septembre 2022
Le Covid-19, les dernières réformes et les difficultés chroniques du système éducatif ont multiplié les formes de mal-être des écoliers jusqu’aux lycéens.
Le système scolaire est-il devenu une machine à stress ? A l’heure où 12,1 millions d’élèves reprennent le chemin de l’école, du collège et du lycée, jeudi 1er et vendredi 2 septembre, la question mérite d’être posée. La santé psychique des adolescents fait l’objet « de beaucoup d’alertes » de la part des « milieux médicaux », a insisté Pap Ndiaye, le ministre de l’éducation nationale, lors d’un direct avec les internautes sur la plate-forme Brut, le 29 août. Dans un contexte social, économique et environnemental anxiogène, le nombre de passages aux urgences pour gestes suicidaires est en forte hausse chez les jeunes de 11 à 24 ans (+ 27 % sur les premiers mois de 2022 par rapport à la même période en 2021), en particulier chez les jeunes filles, selon les données de l’agence Santé publique France.
Dans les écoles et les établissements scolaires, le constat est clair : la crise sanitaire a bel et bien fait basculer des adolescents dans le mal-être. « Avant le Covid-19, il y avait des pics de stress à des moments définis, la rentrée ou l’approche des examens pour les 3es, les 1res et les terminales, rapporte Sylvie Magne, cosecrétaire générale du syndicat des infirmières scolaires (SNICS-FSU). Mais, depuis la rentrée 2020, le stress, les phobies scolaires ou l’absentéisme ne sont plus cantonnés à ces deux périodes. On voit des ados qui ont perdu en motivation et des enfants plus agités qui ont du mal à entrer dans les apprentissages. »
« Depuis le Covid-19, la santé mentale à l’école n’est plus un tabou », constate également Hélène Romano, docteure en psychopathologie et psychothérapeute. Elle a participé à l’élaboration d’une enquête de l’association Synlab auprès d’un millier d’enseignants sur le sujet. Le résultat : près d’un tiers des collégiens et des lycéens laissent transparaître, dans leurs discours et dans leurs mots, des signes de stress ou d’anxiété, selon leurs professeurs.
Elèves « malheureux », parents « anxieux »
Après deux années perturbées, une partie de la solution, avancée par le ministre de l’éducation devant les internautes de Brut, sera de retrouver le fonctionnement « normal » de l’école. Mais celui-ci pourrait-il être lui-même générateur de mal-être ? Le président de la République, Emmanuel Macron, l’a laissé entendre, lors de son allocution de rentrée devant les recteurs d’académie, le 25 août : les élèves français seraient « malheureux », tandis que leurs parents sont « anxieux », et leurs enseignants, « désabusés ».
Pour beaucoup de professionnels qui sont au plus près des enfants et des adolescents, il est clair qu’une pression accrue s’exerce. « Rien n’a bougé dans les manières d’apprendre, alors que le monde a considérablement changé », note Patrice Huerre, pédopsychiatre et auteur de Comment l’école s’éloigne de ses enfants (Nathan, 174 pages). « La pression scolaire augmente à mesure que les parents sont de plus en plus inquiets pour l’avenir de leurs enfants, qui cherchent à les rassurer en ayant de bons résultats », ajoute-t-il.
Les difficultés de fonctionnement du système, en particulier la gestion des ressources humaines – au cœur de l’actualité en cette rentrée –, perturbent également les enfants, lorsque leurs enseignants ne sont pas remplacés ou que, à l’inverse, des remplaçants « défilent » de semaine en semaine.
« On le voit autour de nous, note Patrice Le Berr, père de trois garçons en école primaire à Rueil-Malmaison (Hauts-de-Seine) et représentant FCPE des parents d’élèves. Dans la classe de CP d’à côté, l’enseignant n’a pas été remplacé pendant deux mois l’an dernier. Il y a quelques années, c’était le 80 % de l’enseignant de mes jumeaux qui n’était pas complété… Cette désorganisation stresse énormément les enfants. » Et leurs parents, lorsqu’il s’agit d’organiser au dernier moment la garde d’un petit dont l’enseignant n’est pas remplacé. « J’ai déjà vu des parents hausser le ton avec la directrice, pourtant très engagée », regrette M. Le Berr.
Des familles perdues face à Parcoursup
Dans les grandes classes, on souligne aussi la responsabilité des dernières réformes – celle de Parcoursup et celle du bac, qui ont diffusé le stress sur les deux dernières années de scolarité. « Au collège, le mal-être des élèves concerne surtout les problématiques de harcèlement et au lycée, la pression scolaire », résume à grands traits Gwenaël Le Paih, secrétaire général adjoint du SNES-FSU. Et de regretter : « Avec l’instauration d’une dose de contrôle continu, les lycéens ont l’impression de passer le bac tous les jours. »
« Les notes sont vécues comme une sanction et génèrent un stress diffus sur l’ensemble de l’année », abonde Mathilde Gambrelle, enseignante d’histoire-géographie à Guingamp (Côtes-d’Armor). Dans son établissement rural, les familles, peu au fait des subtilités de l’enseignement supérieur, sont également perdues face à Parcoursup. Une angoisse qui monte dès la classe de 2ndeavec le choix des enseignements de spécialité et se manifeste régulièrement par des crises de larmes. « Il suffit parfois d’un simple “Comment ça va ?” pour ouvrir les vannes », rapporte l’enseignante.
A cette situation de pression accrue s’ajoute une difficulté du système à écouter la souffrance de ses élèves et à la prendre en charge. Les médecins et infirmiers scolaires sont en sous-effectif chronique et ont frôlé le burn-out collectif pendant la crise sanitaire. Le ministre de l’éducation a assuré en avoir conscience sur Brut, lundi 29 août, soulignant le manque de vocations dans ces deux professions. « C’est vrai depuis de très nombreuses années », a ajouté Pap Ndiaye, qui a reconnu que le système sanitaire de l’éducation nationale n’était « plus en état à lui seul de répondre aux difficultés ».
« Nous avons dit au ministre qu’il manquait 15 000 postes d’infirmières pour fonctionner normalement », confirme Sylvie Magne, qui assure que le message a été « entendu » à l’éducation nationale, sans que des mesures ne soient prévues à brève échéance.
Phobie scolaire
En attendant, les quelque 7 700 infirmières déjà en poste sont souvent le premier relais des enfants et adolescents qui souffrent d’un mal-être. « Un élève qui revient plusieurs fois à l’infirmerie pour des maux de tête ou de ventre, on comprend vite qu’il y a quelque chose derrière, explique Sylvie Magne. On fait figure de personne neutre, car on n’est ni enseignants ni parents. Par contre, quand l’élève est prêt à parler, il faut être disponible immédiatement… » Une disponibilité difficile à trouver quand l’infirmière se « partage » entre plusieurs établissements.
Il y a, enfin, ceux qui refusent désormais d’aller en cours. Odile Mandagaran, présidente de l’association Phobie scolaire, est submergée par les sollicitations. « Près de 150 familles nous contactent chaque semaine depuis la pandémie, alors qu’on en comptait entre trente et cinquante auparavant, relève-t-elle. Les familles se désespèrent. A quelques jours de la rentrée, elles voient leur enfant recommencer à somatiser, être dans l’incapacité d’acheter ses fournitures scolaires voire de sortir de son lit. »
Les familles confrontées au problème dénoncent d’abord la responsabilité du système scolaire, qui, là encore, ne sait pas « accompagner » les enfants différents, ceux qui ont du mal à s’adapter au fonctionnement normé de l’école, comme ceux qui la rejettent après des faits de harcèlement.
« Mon fils a cumulé les crises de larmes à partir de la Toussaint de l’année de 6e », se souvient Juliette Jamois, à Toulouse. Le petit Aurèle, désormais âgé de 13 ans, va faire sa rentrée en 4e après un an et demi d’instruction en famille. Mais, depuis un mois, il est angoissé par cette idée. « C’est un enfant sensible, qui a du mal à supporter les contraintes du collège, rapporte sa mère. Et notamment le fait d’être en permanence en groupe, de subir un tel volume horaire sans aucun temps de respiration. » Même si la plupart des enfants « supportent moins mal » le système qu’Aurèle, sa mère, elle-même psychopraticienne, plaide pour que l’on entende ces enfants pour qui « ce système à marche forcée est très violent ».
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