Par Julia Pascual
C’est une photographie précieuse de la France. Un cliché qui permet de regarder sa population et ses origines. Mardi 5 juillet, l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) et l’Institut national d’études démographiques (INED) ont rendu publics les premiers résultats de la seconde enquête « Trajectoires et origines » (TeO). Les données statistiques dévoilées datent de 2019 et 2020 – contre 2008 et 2009 pour la première édition – et sont basées sur un échantillon représentatif de 27 200 personnes. Elles permettent notamment de détailler l’origine migratoire de la population sur trois générations. On y apprend que 32 % de la population de moins de 60 ans a des origines immigrées. Mais à y regarder de plus près, ces origines se diluent dans le temps.
« La moitié des enfants d’immigrés [un immigré est une personne née étrangère à l’étranger] ont un parent qui n’est pas immigré », souligne Patrick Simon, sociodémographe à l’INED et coauteur de l’enquête TeO. C’est encore plus vrai pour la troisième génération : neuf petits-enfants d’immigrés sur dix n’ont qu’un ou deux grands-parents immigrés. « Ces petits-enfants d’immigrés ont un rapport de plus en plus lointain à l’immigration », observe M. Simon.
« Progression très forte »
Cette diffusion des origines est le résultat d’une mixité croissante des unions qui produit un brassage important de la population. Si la majorité des immigrés (63 %) vivent en couple avec un immigré – le plus souvent de la même origine –, cette proportion s’inverse dès la seconde génération : 66 % des descendants d’immigrés sont en couple avec quelqu’un qui n’a pas d’ascendance migratoire. « Au fur et à mesure que l’immigration s’incorpore à l’histoire, la composition de la population française s’élargit. Le lien à l’immigration est fréquent mais s’estompe », résume M. Simon.
De quoi battre en brèche la théorie raciste du « grand remplacement », notamment popularisée en France par le candidat malheureux à l’élection présidentielle Eric Zemmour : « La théorie du grand remplacement oppose des populations les unes aux autres, celles qui n’auraient aucun rapport à l’immigration à des nouveaux venus, reprend M. Simon. Or, on voit que ce qui se produit c’est que les généalogies sont de plus en plus mélangées. On parle de grand élargissement ».
La nouvelle édition de l’enquête TeO permet aussi de détailler la diversification des origines, reflet de l’histoire migratoire de la France. D’après ses résultats, parmi les 5,8 millions de personnes immigrées en France – soit 9 % de la population –, près de la moitié sont nées en Afrique et un tiers en Europe. « La part des Européens est tendanciellement en baisse, tandis que celle des personnes en provenance de l’Afrique subsaharienne et de l’Asie augmente au fil du temps », note l’étude.
Une autre partie des résultats de TeO se penche sur l’ascension sociale des immigrés. Leurs enfants réussissent-ils mieux qu’eux ? « Cette question se pose avec une acuité particulière pour les familles d’immigrés dont le projet migratoire visait souvent à améliorer leur sort et celui de leurs descendants », souligne l’enquête. TeO montre que « dans les familles où les enfants ont deux parents immigrés, la progression du niveau de diplôme est très forte et même plus forte que dans le reste de la population sans ascendance migratoire », rapporte Mathieu Ichou, coauteur de l’enquête et chercheur à l’INED. Ainsi, entre les parents immigrés et leurs enfants nés en France, la proportion de diplômés du supérieur passe de 5 % à 33 % alors que dans la population sans ascendance, elle passe de 20 % à 43 %.
« Il y a une mobilisation forte chez les immigrés autour de la scolarité des enfants, même si les processus de reproduction sociale ne disparaissent pas », déclare Mathieu Ichou. La progression sociale d’une génération à l’autre a beau être plus rapide chez les enfants d’immigrés que chez les enfants de natifs, leur niveau de diplôme reste en moyenne inférieur. En revanche, si l’on s’intéresse aux petits-enfants, « l’écart est totalement comblé »,souligne M. Ichou, qui précise que ces résultats ne mettent en évidence que la trajectoire des petits-enfants d’immigrés d’origine européenne car c’est l’origine la plus largement représentée parmi cette troisième génération ayant terminé ses études au moment de l’enquête.
Ecarts selon les origines
En matière de progression intergénérationnelle et de convergence avec les descendants de natifs, il existe des écarts selon les origines géographiques. TeO identifie trois profils distincts. Celui des familles européennes et maghrébines chez lesquelles moins de 3 % des parents sont diplômés du supérieur, contre plus du tiers de leurs enfants, ce qui est toujours inférieur au profil des enfants de natifs. Le second profil est représenté par les familles d’Afrique subsaharienne et d’Asie chez qui les parents sont plus souvent diplômés du supérieur que les parents de natifs, ce qui s’explique par une élévation des niveaux d’instruction des immigrés dans le temps.
Dans ces familles, les enfants sont également plus souvent diplômés du supérieur que les descendants de natifs. Ils sont par exemple 50 % parmi les enfants d’un ou deux immigrés d’Afrique ou encore 54 % pour les enfants de deux immigrés d’Asie. Les familles de Turquie et du Moyen-Orient, qui représentent le troisième profil, « combinent un faible taux des diplômés du supérieur chez les parents (5 %) et un taux encore limité chez les enfants (moins de 18 %) », remarque l’étude de l’Insee et de l’INED. Enfin, chez les enfants d’immigrés, comme chez les enfants de natifs, les filles présentent une plus grande réussite scolaire.
L’enquête TeO s’est enfin intéressée à la valorisation des diplômes et trouve que celle-ci est moins bonne chez les enfants d’immigrés d’origine extra-européenne. Si 77 % des enfants de natifs diplômés du supérieur accèdent à des professions intermédiaires ou supérieures, ils sont 63 % parmi les enfants d’immigrés du Maghreb, 67 % parmi ceux d’Asie ou 70 % parmi ceux d’Afrique subsaharienne. « C’est probablement dû en partie à des discriminations sur le marché du travail », estime M. Ichou.
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