par Henri Leclerc, Avocat honoraire. Président d’honneur de la Ligue des droits de l’Homme
publié le 4 juillet 2022 à 13h31
En 1977, après le procès de Patrick Henry qui contre toute attente n’avait pas été condamné à mort et avant les échéances électorales de 1978 puis de 1981, un débat fut organisé par l’institut de criminologie de Paris. Constatant l’état de l’opinion publique qui depuis deux siècles s’opposait à l’abolition, le grand avocat marseillais Paul Lombard proposait qu’une peine de remplacement soit créée. C’était une solution alternative de substitution, qui est à peu de choses près la peine de perpétuité incompressible qui vient d’être infligée à Salah Abdeslam dans le procès des attentats criminels du 13 novembre 2015. Le débat avait été rude au colloque, certains estimant que l’abolition de la peine de mort devait être totale et sans conditions.
En septembre 1981, le débat sur l’abolition, tant à l’Assemblée nationale qu’au Sénat, porta aussi sur le vote d’une peine de remplacement et les députés et sénateurs favorables au maintien du châtiment suprême se retrouvèrent sur cette proposition. Robert Badinter tint ferme la barre, refusant qu’on remplace «une torture par une autre torture». L’abolition fut donc pure et simple et définitive comme il le demandait. Mais de façon récurrente, ce problème fut à nouveau évoqué dans les débats politiques et judiciaires.
Chaque fois qu’un crime était commis par un récidiviste qui n’avait pas accompli l’intégralité de la peine prononcée, la question de la période de sûreté, au cours de laquelle aucune mesure d’aménagement de peine n’est possible, revenait. Le principe des peines de sûreté pendant une période de détention était apparu en 1978 au moment de l’inflation sécuritaire considérable de la fin de la présidence de Valéry Giscard d’Estaing.
Une fin de la période de sûreté au bout de plus de trente ans
C’est comme toujours à l’occasion d’un fait divers particulièrement atroce ayant révolté l’opinion publique qu’une réforme législative va intervenir en 1994 créant une peine de sûreté jusqu’à la fin de la peine perpétuelle en cas d’assassinat de mineur accompagné de viol : la perpétuité incompressible. Puis une autre loi fut votée en 2011 à la suite de crimes visant des forces de police, pour la rendre applicable en cas d’assassinats de policiers ou de personnes chargées de l’autorité publique à l’occasion de leurs fonctions. Enfin en 2016, après les attentats de 2015, la disposition fut étendue aux assassinats terroristes. En raison de la non-rétroactivité des lois pénales, seule la loi de 2011 pour les crimes commis contre les forces de l’ordre pouvait être invoquée contre Salah Abdeslam en raison des actes commis au Bataclan contre les policiers. C’est donc sur ce fondement que l’accusé a été déclaré coupable de complicité de l’ensemble des crimes commis ce soir-là, bien qu’il n’ait pas été personnellement et directement présent.
Il ne s’agit ici ni de s’interroger sur les conditions de déroulement de cet immense procès qui semble en tout cas avoir été accueilli par les victimes et même les accusés avec une sorte de sentiment d’apaisement, mais simplement de s’interroger à cette occasion sur la présence dans notre code pénal de cette peine de perpétuité incompressible. A deux reprises, le Conseil constitutionnel a validé ces dispositions, et la Cour européenne des droits de l’hommes les a acceptées en 2010, compte tenu du dispositif qui permet d’envisager une fin de la période de sûreté au bout de plus de trente ans d’enfermement réellement effectués. Le tribunal de l’application des peines peut en effet mettre fin à la période de sûreté non sans avoir au préalable sollicité l’avis de trois experts médicaux inscrits à la Cour de cassation pour examiner «l’état de dangerosité» du condamné.
Une peine désespérante et inhumaine
Est-il possible sur un tel sujet d’envisager un débat juridique et politique ? Les crimes pour lesquels cette peine particulière est encourue sont atroces et sans doute plus encore que tous les autres, les massacres du 13 novembre 2015. La justice doit passer : ce ne sont pas seulement aux victimes auxquelles il importe de rendre justice mais aussi l’ensemble de la nation. L’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme exige que les peines soient «strictement et évidemment nécessaires». Il a fallu batailler deux siècles pour qu’enfin la peine de mort soit abolie. Tous ceux qui combattaient pour son maintien n’ont jamais cessé de proclamer son évidente nécessité. Il n’y a eu pourtant après l’abolition aucun accroissement de crimes susceptible de la faire encourir. Comme le demandait Robert Badinter à l’Assemblée nationale, nous avons «tourné les pages sanglantes de notre justice». Et pourtant subsiste cette peine désespérante et inhumaine, la perpétuité incompressible.
La peine n’a pas pour fondement ni dans ses principes ni dans la loi le critère de dangerosité qui semble inspirer ces dispositions, comme le montre l’exigence d’expertise pour mettre fin à l’enfermement du condamné. Ne s’agit-il pas plutôt d’infliger une sanction spectaculaire qui apaise l’émotion publique par sa cruauté et devient ainsi un substitut non sanglant à la peine de mort ? Emile Durkheim faisait une observation pertinente au sujet de la cruauté des peines : «On dit que nous ne faisons pas souffrir les coupables pour les faire souffrir. Il n’en est pas moins vrai que nous trouvons juste qu’ils souffrent.» Les grands juristes de l’ancien régime considéraient la torture comme indispensable pour prévenir le crime. On lui substitua la peine de mort égalitaire par la guillotine qui parut à son tour une nécessité évidente avant qu’on l’abolisse à son tour. Faut-il aujourd’hui renoncer à tout espoir d’évolution d’un être humain ? Faut-il le retrancher jusqu’à sa mort de toute vie sociale ? Même si nous n’avons aucune illusion sur l’état de l’opinion publique sur un tel sujet, comme nous n’en avions pas lorsqu’il fut néanmoins décidé d’abolir la peine de mort, il convient maintenant d’y réfléchir.
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