par Nathalie Raulin publié le 4 juillet 2022
Changement de casting à l’AP-HP. Ce 4 juillet, Nicolas Revel, 56 ans, a été consacré en Conseil des ministres nouveau directeur général de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris. L’ancien directeur de cabinet de Jean Castex succède à Martin Hirsch, qui, sous pression de l’Elysée, avait à la mi-juin remis son poste à disposition du gouvernement après neuf ans de pilotage du plus important groupe hospitalier du pays.
Pour Nicolas Revel, c’est la fin d’un inconfortable entre-deux. Attendue dans la foulée des adieux faits par Martin Hirsch à ses troupes le 17 juin, sa nomination a tardé à se concrétiser. La faute au chamboule-tout des législatives. C’est que convaincu de la nécessité d’adapter son gouvernement à la nouvelle donne politique, Macron évite deux semaines de rang de réunir officiellement celui en place. Or sans Conseil des ministres, pas de nomination possible à l’AP-HP...
Dans l’intervalle, le haut-fonctionnaire en suspension s’astreint à la réserve. Mais son nom qui circule attise les curiosités. La crise existentielle que traverse l’hôpital public, et tout particulièrement l’AP-HP, son vaisseau amiral, est de notoriété publique. Le groupement hospitalier, éreinté par deux ans de Covid, est dans un «état moral, organisationnel et budgétaire au plus bas», s’était ému un collectif de praticiens dans une lettre ouverte au président début décembre. Aux «bon courage !» dont ses relations ponctuent en privé la confirmation de la nouvelle, Revel rétorque alors sans se démonter : «Je ne vais quand même pas refuser l’AP-HP parce que c’est un gros challenge !»
Navigation en eaux tumultueuses
Le grand commis de l’Etat n’a pas la prétention des hommes providentiels. Mais il n’est pas novice en matière de management public. Propulsé en 2014 à la tête de l’Assurance maladie, grosse machinerie de 85 000 salariés, le haut fonctionnaire y avait démontré sa capacité à naviguer en eaux tumultueuses. Vent debout contre la généralisation du tiers payant promis par François Hollande et portée par Marisol Touraine, les syndicats de médecins libéraux ne sont alors pas d’humeur à lui faciliter la tâche. Pour calmer la fronde, la ministre songe à lâcher du lest sur le tarif des consultations médicales. Revel l’en dissuade. Pas question pour lui de revaloriser la consultation sans tenter d’obtenir des contreparties pour les assurés sociaux. Des mois durant, il palabre, exploite les divisions syndicales, négocie des ralliements, finit par modifier le rapport de force en sa faveur. A l’automne 2016, l’accord est dans la boîte. Sans drame. Même ses interlocuteurs les plus rétifs ont pris en sympathie l’ancien premier collaborateur du maire socialiste de la ville de Paris Bertrand Delanoë. «Revel est un homme de convictions, avec une fibre sociale marquée et un intérêt pour la réduction des inégalités sociales de santé», loue un syndicaliste.
L’élection de Macron à la présidence de la République, qui signe le départ de Marisol Touraine de l’avenue de Ségur, finit d’apaiser les tensions. Dès lors, Revel fait avancer ses dossiers sans encombre. C’est que l’énarque sait écouter, et le cas échéant pousser les idées qui remontent du terrain. «On lui a par exemple expliqué l’intérêt des assistants médicaux, se souvient le docteur Jacques Battistoni, président de MG France, le premier syndicat de médecins libéraux. Vu la démographie médicale, il était nécessaire de permettre aux médecins de s’entourer de collaborateurs pour pouvoir prendre plus de patients. Il l’a compris et il a œuvré en ce sens quand d’autres auraient probablement tergiversé.» A la stupéfaction des syndicats, Macron reprend l’idée dans une allocution officielle en septembre 2018…
Entre les deux énarques, les liens sont de confiance. Une bonne entente née sous François Hollande quand ils officiaient comme secrétaire général adjoint de l’Elysée en charge de l’Economie pour Macron, des Affaires sociales pour Revel. Quand en 2017, le premier fraîchement installé à l’Elysée cherche à pourvoir le portefeuille de la Santé, c’est son ancien complice qui lui souffle le nom d’Agnès Buzyn. Par la suite, les suggestions du patron de la Cnam pour améliorer l’accès aux soins de ville viendront irriguer le projet de la loi «Ma santé 2022» de la ministre… «Revel a eu un poids indiscutable sur la santé, bien supérieur à celui d’un directeur de la Cnam, de part son accès direct au président», convient Jean-Paul Ortiz, l’ex-président de la Confédération des syndicats médicaux français, longtemps son opposant le plus acharné.
«Il a passé 70% de son temps à gérer la crise sanitaire»
En humaniste attaché au dialogue, Revel aime inscrire son action dans le temps long. Mais il ne répugne pas aux missions commando. Quand Macron le réclame aux manettes à Matignon, le fidèle obtempère. En juillet 2020, il prend la direction du cabinet du Premier ministre, Jean Castex, qu’il connaît et apprécie depuis leur passage commun à la Cour des comptes. Ironie du sort : sitôt à Matignon, ses sujets de prédilection le rattrapent. L’atterrissage du Ségur de la santé, l’adaptation incessante des mesures de freinage de l’épidémie, (fermeture des commerces, confinements…) tout comme les arbitrages sur la stratégie vaccinale saturent son agenda. «Il a passé 70% de son temps à gérer la crise sanitaire», dit son entourage…
L’expérience, éprouvante, est de celles qui font relativiser «l’enfer» de l’AP-HP. «Matignon et l’Elysée, ça durcit le cuir. L’AP-HP, c’est aussi très costaud, mais Nicolas a les qualités qu’il faut relever ce défi, estime Thomas Fatôme, le nouveau patron de la Cnam. Un mélange de grande détermination, et de capacité d’écoute. Il a le calme et l’autorité naturelle qui permettent de manœuvrer dans des environnements complexes entre les médecins, les syndicats, et les élus. Et puis, il connaît tout le monde, à la ville de Paris, au ministère, à l’Elysée.»
«Revel est un optimiste qui aime avancer pas à pas. Mais faire des petits pas quand l’essentiel se casse la gueule, ça n’est pas adapté»
— Le professeur André Grimaldi, fondateur du collectif inter-hôpitaux (CIH)
Dans les coursives du paquebot hospitalier, premier employeur d’Ile-de-France, l’enthousiasme est plus modéré. Le départ de Martin Hirsch, directeur emblématique mais contesté, a soulagé en interne. Mais son remplacement ne suffit pas à rassurer les troupes. C’est qu’entre budget hospitalier comprimé depuis une décennie, explosion du coût du logement francilien et fatigue de pandémie, les voies d’eau sont considérables, financières mais aussi humaines. Alors que par le passé les soignants se battaient pour y exercer, l’AP-HP peine aujourd’hui à les attirer et même à les retenir. Les postes vacants toujours plus nombreux obligent désormais à fermer des lits d’hospitalisation en pagaille…
«Revel est un optimiste qui aime avancer pas à pas. Mais faire des petits pas quand l’essentiel se casse la gueule, ça n’est pas adapté», estime le professeur André Grimaldi, ancien chef du service de diabétologie à la Pitié-Salpêtrière et fondateur du collectif inter-hôpitaux. S’il ne pèse pas au nom de l’AP-HP pour qu’on change le système de financement et de gouvernance de l’hôpital, il ne sera qu’un directeur gestionnaire, un peu plus agréable que Hirsch, et c’est tout.» Reste qu’au sein du groupement hospitalier, la sévérité de la crise pousse à l’union sacrée. Le professeur Rémi Salomon, président de la commission médicale d’établissement du groupe, résume : «On va souhaiter la bienvenue au nouveau directeur et on discutera. Compte tenu des problèmes qu’on a, il faut s’entraider.»
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