Par Zeliha Chaffin Publié le 12 août 2021
Grâce au succès des vaccins contre le Covid-19 développés par l’Américain Moderna et l’Allemand BioNTech, cette technologie suscite l’intérêt des laboratoires et des chercheurs.
Cantonnée aux laboratoires de recherche, loin des hôpitaux et des pharmacies, elle n’était encore connue, au printemps 2020, que d’une petite communauté de chercheurs passionnés de biologie, convaincus de son potentiel. Propulsée par les succès des vaccins contre le Covid-19 développés par l’américain Moderna et l’allemand BioNTech – dont près d’un milliard et demi de doses ont été injectées dans le monde –, la technologie dite de l’« acide ribonucléique messager » ou ARNm est aujourd’hui devenue une star. Chercheurs, investisseurs et industriels pharmaceutiques se pressent désormais sur ce marché en pleine effervescence.
« Ils nous sollicitent tous pour travailler sur cette technologie », se réjouit Chantal Pichon, chercheuse au centre de biophysique moléculaire du CNRS à Orléans. Pour cette pionnière de l’ARN messager, qui a lancé ses travaux sur le sujet en 2005, à une époque « où peu de personnes y croyaient », le changement est radical. « Presque 80 % de mes demandes de financement étaient refusées. A chaque fois, je me heurtais à des réponses du type : “C’est très intéressant, mais trop ambitieux.” Ce n’est plus le cas désormais »,observe-t-elle. La chercheuse n’est pas la seule à constater cet emballement général.
Outre-Rhin, la biotech Ethris, qui développe des traitements à base d’ARNm pour soigner des maladies pulmonaires jusqu’à présent incurables, a, elle aussi, été « approchée » par une multitude d’acteurs ces derniers mois. Des grands laboratoires pharmaceutiques, mais aussi des biotechs et des fabricants de vaccin, tous intéressés par ses recherches. « Le succès des premiers vaccins à ARNm par Moderna et BioNTech a été un déclic. Non seulement ils ont démontré que cette technologie est très efficace, mais, surtout, qu’elle peut obtenir des autorisations de mise sur le marché. C’est une étape cruciale pour tous ceux qui travaillent sur cette technologie »,analyse son cofondateur, Carsten Rudolph.
Une foule d’investisseurs
Car l’ARN messager est loin de se limiter aux seuls vaccins contre le Covid-19. D’ores et déjà, de nombreux autres vaccins (contre la grippe, le paludisme…) sont à l’étude dans les laboratoires du monde entier. Mais aussi pléthore de produits thérapeutiques dans des domaines aussi divers que les cancers, les maladies infectieuses, les maladies rares, les maladies auto-immunes ou la médecine régénératrice. Au total, plus de 150 vaccins et produits thérapeutiques à base d’ARN messager seraient aujourd’hui en cours d’évaluation, à des stades précliniques ou cliniques, selon le cabinet Roots Analysis. « Les ARN messager ne permettront pas de tout traiter, mais leur potentiel est immense. Ils pourraient faire naître de vraies avancées médicales », souligne Chantal Pichon.
Ces perspectives prometteuses ont, sans surprise, attiré une foule d’investisseurs de tous horizons, à l’affût des futures pépites du secteur. « Il y avait déjà une dynamique d’investissement sur cette technologie depuis plusieurs dizaines d’années. Mais, dans cette industrie où tout est affaire de probabilité de succès, la réussite des premiers vaccins à ARN messager suscite forcément davantage d’attention », explique Antoine Papiernik, à la tête de Sofinnova Partners. Notamment celle d’investisseurs plus généralistes, pour lesquels la santé n’est pas le secteur principal, précise Alexandre Regniault, avocat, responsable du pôle santé et sciences de la vie chez Simmons & Simmons. « Ça peut permettre de financer de plus grosses levées de fonds lors des tours de table déjà planifiés, ou d’engager des seconds tours un peu plus tôt que prévu. »
Chez les grands groupes pharmaceutiques aussi, le mouvement de fond s’accélère. « Il y a des projets de partenariat et d’acquisition qui sont dans les tuyaux. Beaucoup d’industriels avaient cependant déjà investi dans cette technologie avant la crise du Covid », remarque Alexandre Regniault. Depuis plusieurs années, les Big Pharma avaient, en effet, quasiment toutes noué des partenariats avec des biotechs travaillant sur l’ARN messager, à l’instar de celui passé entre Pfizer et BioNTech, ou encore de celui entre GSK et CureVac.
Nouvelles lignes de production spécifiques
Ces derniers mois, certaines d’entre elles ont cependant musclé leur arsenal sur cette nouvelle technologie, afin de préparer l’avenir. Outre l’annonce, en juin, de la création d’un centre de recherche consacré à l’ARN messager, Sanofi a ainsi mis la main sur deux biotechs spécialisées : Tidal Therapeutics, en avril, et Translate Bio, début août. Son concurrent, le suisse Novartis, a, de son côté, indiqué qu’il réfléchissait à augmenter ses investissements sur cette thématique.
Philippe Barthélémy, chercheur au CNRS et directeur du laboratoire ChemBioPharm, voit ce regain d’intérêt des industriels d’un œil plutôt favorable : « Dans le domaine biomédical, le problème n’est pas tant dans la recherche académique, où les chercheurs sont plutôt performants, que dans l’industrialisation du produit ou du médicament. Les financements pour franchir cette étape sont beaucoup plus importants. Et souvent, seuls les grands groupes pharmaceutiques peuvent se risquer à mettre autant d’argent. »
Le nouvel élan du marché s’observe à tous les niveaux. Même les sous-traitants de l’industrie s’adaptent, investissant dans de nouvelles lignes de production spécifiques, adaptées à l’ARN messager. « Certaines sociétés se sont focalisées sur la vectorisation, qui forme les capsules autour de l’ARN messager, d’autres sur la stabilité chimique et l’optimisation des séquences d’ARN, d’autres enfin sur la production à grande échelle. Il y a un mouvement général qui s’est installé et qui va continuer de croître », note Franck Mouthon, président de France Biotech. L’ARN messager n’a pas fini de faire parler de lui.
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