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mercredi 18 août 2021

Dépendance aux benzodiazépines : comment mieux sevrer les patients

Par   Publié le 17 août 2021

La prise de ces somnifères et tranquillisants crée sur le long terme une forte addiction. Pour définir les meilleurs protocoles de sevrage, un essai clinique franco-suisse est lancé avec un appel à la participation des patients.

Les benzodiazépines sont des armes à double tranchant. Prescrites comme somnifères ou comme tranquillisants, elles sont recommandées et efficaces pour un usage ponctuel. Mais, au long cours, ces médicaments entraînent des effets indésirables notoires ainsi qu’une forte dépendance. Des risques méconnus du public, alors même que la France détient le record mondial de la consommation de ces molécules.

Les médecins généralistes, qui en sont pourtant les principaux prescripteurs, mettent souvent en avant la difficulté de l’arrêt de ces médicaments. « La prise chronique de benzodiazépines, comme l’alcool et le tabac, est une addiction », confirme Benjamin Putois, psychologue clinicien et psychothérapeute spécialisé en thérapie comportementale et cognitive (TCC). « Dès 4 à 5 semaines d’utilisation, on est hautement dépendant. Le sevrage devient alors très ardu », ajoute ce responsable d’enseignement universitaire à distance, en Suisse, et chercheur associé à l’Inserm de Lyon.

Pour rendre cette phase moins délicate, il vient d’entreprendre un essai clinique, l’étude Benzostop, avec l’Inserm et l’Association nationale de promotion des connaissances sur le sommeil (Prosom). Un appel à participation est lancé sur le site sécurisé benzostop.org. Cette étude, qui bénéficie d’un financement suisse, inclura 130 patients traités par une benzodiazépine depuis plus de six mois pour un trouble du sommeil.

Un cercle vicieux

Pourquoi se libérer de cette molécule relève-t-il d’un tel défi ? Parce que chez 5 à 8 patients sur 10, l’arrêt brutal du traitement provoque un « syndrome de sevrage », soit un cortège de maux très inconfortables, et même dangereux. « Ce syndrome peut engager le pronostic vital quand il se complique d’une crise convulsive, d’une confusion et d’hallucinations, voire de troubles de la vigilance pouvant aboutir à un état comateux », relève Guillaume Airagnes, psychiatre et addictologue à l’hôpital européen Georges Pompidou (AP-HP, Paris). Avant d’en arriver là, les candidats au sevrage souffrent souvent d’une myriade de troubles : sueurs et tremblements, céphalées, problèmes de concentration, bourdonnements d’oreilles, vertiges, agitation et irritabilité. Sans compter une anxiété et une insomnie dites « de rebond », exacerbées par cet arrêt. Autant de symptômes « très mal tolérés, qui incitent les patients à reprendre leurs benzodiazépines », témoigne Guillaume Airagnes. Ils tentent ainsi de calmer leurs symptômes exacerbés paradoxalement par leurs efforts pour s’en affranchir. Un vrai cercle vicieux.

Comment les aider à sortir de ce piège sournois ? Des recommandations ont bien été proposées, que ce soit par la Haute autorité de santé en France ou le National Institute for Health and Care Excellence au Royaume-Uni. Mais elles restent floues. « La durée de sevrage recommandée varie énormément : elle va de 4 semaines à plusieurs mois, voire plusieurs années », évalue Benjamin Putois. L’enjeu est alors de diminuer progressivement les doses.

Peu y parviennent sans accompagnement. « Moins d’un consommateur chronique sur 10 (7 %) réussit à arrêter tout seul son traitement », insiste Benjamin Putois. Ce taux de réussite grimpe à 40 % quand les patients sont suivis à l’aide « d’interventions courtes » : des conseils plus poussés délivrés par les médecins, des lettres ou des messages d’encouragement sur les réseaux sociaux. Un chiffre optimiste en réalité : ce taux est mesuré 6 mois après le sevrage mais ensuite, les rechutes sont fréquentes. Quand les patients bénéficient, en sus, d’un accompagnement psychologique de type « thérapie cognitive et comportementale » (TCC), ils réussissent leur sevrage 7 à 8 fois sur 10.

« Il est important de mieux cerner les profils de patients à risque, qui nécessiteront une aide renforcée. Et de préciser les durées de sevrage et les accompagnements adaptés à chaque profil », souligne Benjamin Putois. Les patients intéressés à participer à son étude Benzostop devront d’abord compléter un formulaire sur le site. Le but : affiner la mise au point d’un questionnaire de mesure de leur degré de dépendance. Ensuite, les candidats retenus seront divisés en quatre groupes. Il s’agira de comparer l’efficacité de deux durées de sevrage (6 semaines, versus 18 semaines), et l’impact de deux types d’accompagnement (un soutien psychologique par téléphone versus des interventions de type TCC). Le suivi s’étendra sur cinq ans, pour prendre en compte les éventuelles rechutes. L’étude Benzostop apportera des résultats très attendus par la communauté médicale. En effet, « identifier les protocoles de sevrage les plus efficaces est un enjeu prioritaire de santé publique », estime Guillaume Airagnes.

Ces molécules augmentent de 60 à 80 % les risques d’accidents de la route. Sur le long terme, elles accentuent le déclin cognitif

Mais pourquoi, au fond, importe-t-il tant d’arrêter ces traitements au long cours ? A cause de leurs effets secondaires, nombreux. Lors de leur lancement, dans les années 1960, les benzodiazépines étaient d’abord apparues comme des produits miracles : face aux barbituriques, elles semblaient dépourvues d’effets secondaires immédiats. Et puis on a découvert leur action pernicieuse, conséquence de leur mode d’action.

Ces molécules psychotropes facilitent l’action du GABA, le principal neurotransmetteur inhibiteur du système nerveux central. D’où leurs effets anxiolytiques et sédatifs. D’où, aussi, leur action de ralentissement général : en plus d’une somnolence et d’amnésies, « ces médicaments diminuent les réflexes, les capacités d’attention, de mémorisation et de concentration », liste Guillaume Airagnes. Le risque de chutes et d’accidents est alors accru, surtout chez les personnes âgées. Ces molécules augmentent de 60 à 80 % les risques d’accidents de la route. Sur le long terme, elles accentuent le déclin cognitif. Leur lien avec la démence, enfin, fait toujours débat. Paradoxe, « les personnes les plus à risque de subir ces effets secondaires sont aussi les populations les plus consommatrices de benzodiazépines : ce sont notamment les plus de 65 ans », note Guillaume Airagnes. Au-delà de cet âge, une personne sur trois en consomme régulièrement.

Le Covid-19 n’a hélas rien arrangé : en 2020, la consommation de benzodiazépines a augmenté de 8 %. Plus inquiétant, elle n’a fait que croître depuis janvier, alors que les mesures sanitaires s’allégeaient. Selon les données du groupement EPI-Phare, le nombre de nouveaux consommateurs a ainsi grimpé de 26 % pour les somnifères et de 15 % pour les tranquillisants.


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