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vendredi 14 mai 2021

Droits des femmes Au Texas, la loi anti-avortement la plus cynique des Etats-Unis

par Frédéric Autran  publié le 14 mai 2021

Nouvelle étape dans la bataille des républicains pour interdire l’IVG, la loi texane veut imposer une guérilla judiciaire aux partisans de l’avortement.

L’assaut est inédit. Et sans surprise, c’est le Texas, forteresse républicaine que les démocrates espèrent certes conquérir un jour à la faveur d’une démographie changeante, mais dont les institutions demeurent noyautées par les ultra-conservateurs, qui mène la charge. Leur cible ? Le droit à l’avortement, ceux qui le pratiquent ou le soutiennent, tous complices aux yeux des «pro-life» autoproclamés, par ailleurs fervents défenseurs de la peine de mort, du meurtre d’enfants à naître.

La dernière salve en date, votée définitivement jeudi par le Sénat local et qui devait être signée vendredi par le gouverneur républicain Greg Abbott, s’inscrit dans une déferlante de lois restrictives adoptées depuis trois ans par de nombreux Etats républicains, en particulier le long de la Bible Belt. Après le Mississippi, le Kentucky, l’Alabama, la Louisiane ou la Géorgie, le Texas va ainsi se doter à son tour d’une loi dite «Heartbeat bill», qui interdit aux femmes l’IVG dès que les battements de cœur du fœtus peuvent être détectés. Soit autour de la sixième semaine de grossesse. Y compris en cas d’inceste ou de viol, seule une urgence vitale pour la santé de mère permettant une exception.

«Cette loi, l’une des plus extrêmes du pays, constitue en substance une interdiction totale de l’avortement car la majorité des femmes ne savent pas encore qu’elles sont enceintes à six semaines», déplore l’ONG Avow Texas, qui défend les droits reproductifs. Partout où elles ont été votées, ces lois ont d’ailleurs jusqu’à présent été bloquées en justice pour leur caractère anticonstitutionnel. Car l’arrêt emblématique Roe v. Wade, qui a reconnu en 1973 le droit des femmes à avorter, interdit aux Etats de bannir l’avortement avant le seuil de viabilité du fœtus. Soit autour de 20 semaines de grossesse, le délai actuel autorisé au Texas.

Harcèlement judiciaire

Au niveau national, la stratégie des anti-IVG est claire : multiplier les textes restrictifs, contestés en justice par leurs opposants, et espérer que d’appel en appel, le dossier remonte jusqu’à la Cour suprême. Laquelle, avec trois juges très conservateurs nommés par Donald Trump au cours de son mandat, a opéré depuis quatre ans un net virage à droite. Un virage tel, espère l’électorat républicain, chrétiens évangéliques en tête, pour que la plus haute instance judiciaire du pays finisse par renverser ou affaiblir le précédent crucial de 1973.

Prenant acte des échecs successifs des «Heartbeat bills» devant des tribunaux fédéraux du pays, les législateurs texans ont opté pour une nouvelle approche particulièrement cynique. Leur loi, en effet, ne vise pas directement les femmes qui avortent, et interdit aux autorités locales de la faire appliquer. En revanche, elle autorise quiconque, y compris en dehors du Texas, à porter plainte au civil contre tous ceux ayant aidé ou participé à un avortement au-delà de la limite de six semaines, et à leur réclamer des dommages et intérêts. «Le Texas Heartbeat Act propose une approche novatrice, en autorisant les citoyens à tenir les avorteurs responsables via des poursuites privées. Aucune loi similaire votée par un autre Etat n’a adopté cette stratégie. En outre, la loi ne punit pas les femmes qui ont avorté», note ainsi dans un communiqué l’organisation anti-IVG Texas Right to Life.

L’objectif des auteurs est simple : harceler en justice tous ceux qui, de près ou de loin, accompagnent une femme souhaitant interrompre sa grossesse. Des médecins aux infirmiers en passant par les proches, qui pourraient être poursuivis pour avoir conduit une femme à la clinique ou l’avoir aidée à payer les frais médicaux. Les donateurs qui aident les fonds d’aide et les cliniques pourraient eux aussi être visés par des plaintes. Et la loi prévoit que tout accusé, même blanchi, ne pourra pas être remboursé des frais de justice.

«Le Texas est un banc d’essai»

En excluant l’Etat et les femmes qui avortent de cette guérilla judiciaire, les élus républicains du Texas espèrent éviter à leur loi de tomber sous le coup de la Constitution. «Les extrémistes anti-avortement ont délibérément rédigé ce texte pour faire en sorte que cette interdiction au-delà de six semaines soit la première à survivre à une contestation devant les tribunaux, s’inquiète Yamani Hernandez, la directrice exécutive du National Network of Abortion Funds. Le Texas est un banc d’essai pour les lois anti-avortement catastrophiques.»

Signe de l’agressivité des républicains sur ce sujet clivant, l’institut Guttmacher, qui défend les droits reproductifs, a recensé entre janvier et avril plus de 60 mesures restreignant l’avortement adoptées dans 13 Etats. «Si cette tendance continue, 2021 va être la session législative la plus dévastatrice en une décennie, voire de l’histoire», met en garde l’une de ses responsables, Elizabeth Nash, qui ne se dit pas du tout «surprise» par cette offensive. «Les élus conservateurs et anti-avortement ont hâte de tester les limites de la nouvelle majorité à la Cour suprême en matière d’interdictions et de restrictions à l’avortement, conclut-elle. Et ils préparent le terrain pour le jour où les protections constitutionnelles fédérales seront affaiblies ou entièrement éliminées.»


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