Par Léa Iribarnegaray Publié le 11 mai 2021
Beaucoup sont restés vivre chez leurs parents et ont renoncé à l’autonomie qui accompagne ces années de passage à l’âge adulte : logement à soi, séjours à l’étranger, petits jobs… Une situation qui, plus d’un an après le début de la crise due au Covid-19, laisse des traces.
De jeunes oiseaux qui prenaient leur envol brutalement scotchés au sol : en cette année de pandémie, de nombreux étudiants n’ont eu d’autres choix que de rentrer au nid. Quand les cours se font en visioconférence, quand disparaissent les petits boulots, à quoi bon payer un loyer ? Au moment du premier confinement, un tiers des 18-24 ans avaient quitté leur logement personnel pour s’installer chez un parent ou un proche, et 39 % déclaraient avoir subi une baisse de revenus, selon l’enquête Coconel réalisée par l’Institut national d’études démographiques (INED). Un an et trois confinements plus tard, certains ont le sentiment d’y avoir laissé des plumes – celles, notamment, de l’indépendance et de la liberté.
A 23 ans, Céline voit dans ce retour forcé « un sacré gâchis ». Après trois années de licence chez ses parents, dans la campagne proche d’Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône), l’étudiante a été acceptée en master de droit à l’université Paris-Saclay. « C’était enfin l’occasion d’avoir une vraie vie d’étudiante, toute seule ; de faire mes courses, mon budget… », regrette celle qui a pris un crédit pour pouvoir partir. En septembre 2020, Céline a loué son premier studio à Fontenay-aux-Roses (Hauts-de-Seine) – 500 euros par mois pour 23 mètres carrés : le prix de l’autonomie.
Mais, après deux semaines de cours, la fac a fermé et tout a basculé en distanciel. Céline n’a même pas eu le temps de rencontrer ses camarades de promo, ou tout juste sur Messenger. Alors, plutôt que de rester seule et sans lumière devant son écran, elle est retournée à la case départ, chez les parents, avec la grand-mère de 100 ans et le gros berger blanc suisse. « Ça crie souvent à la maison, parce que ma grand-mère n’entend rien ! lâche Céline, qui tente de se concentrer sur sa future carrière d’avocate. Même si j’ai beaucoup de chance de les avoir, j’ai aussi besoin de contacts avec des gens de mon âge. Pour moi, c’est fichu : mon master est covidé, je suis dégoûtée. »
Si la crise a réactivé la figure du « Tanguy » – personnage éponyme du film d’Etienne Chatilliez, thésard de 28 ans qui se love chez ses parents et ne souhaite pas en partir –, elle a aussi banalisé le retour à la maison, même après l’avoir une première fois quittée.« Avec la pandémie, on entre dans l’ère des Tanguy intermittents »,observe le sociologue Rémy Oudghiri, auteur de Ces adultes qui ne grandiront jamais. Petite sociologie des grands enfants (Arkhé, 2017). Ainsi, à mesure que s’intensifient la précarité et les incertitudes quant à l’avenir, que les modes de vie et d’études évoluent (stages en télétravail, cours en ligne…), les jeunes multiplient les allers-retours entre le domicile familial et des logements autonomes, pour des périodes plus ou moins longues.
« Le plus lourd, c’est la routine »
Un phénomène qui existait déjà et qui est accentué par la pandémie. Selon une étude de l’Insee publiée en 2018, la part des 18-29 ans habitant chez leurs parents augmente depuis 2000, poussée par la hausse du chômage, du prix des loyers et de la population étudiante. En 2013, cela concernait déjà près d’un jeune adulte sur deux (46 %). Mais la situation de ceux qui sont revenus vivre chez leurs parents « semble davantage subie » : lorsqu’ils ont moins de 30 ans, 40 % d’entre eux envisagent de partir à court terme.
« Je n’aurais pas envie d’y passer trop de temps, même si c’est rassurant de savoir que ce cocon existe », assume Marguerite, 21 ans, rentrée « en catastrophe » chez ses parents à Cognac (Charente) pendant le premier confinement. « C’est grand, c’est familier, c’est là où j’ai grandi. C’est important de garder un point fixe, une chambre qui m’est réservée où je peux retourner. » En mars 2020, l’étudiante à Paris-Dauphine n’a pas hésité à quitter sa chambre de bonne de 9 mètres carrés. Au début, Marguerite a eu l’impression de « recharger les batteries », en ressortant le Cluedo et la guitare avec ses sœurs. « Mais, au bout d’un moment, ça devient étouffant de devoir s’adapter au rythme de la famille quand on a l’habitude d’avoir le sien, ça finit par peser sur le moral. » Les repas à heures fixes, les journées qui s’enchaînent et se ressemblent. « Le plus lourd, c’est la routine », souffle Marguerite.Comme tous les étudiants qui ont témoigné, elle reconnaît un sentiment de « régression », une forme de retour aux années lycée.
De jeunes oiseaux qui prenaient leur envol brutalement scotchés au sol : en cette année de pandémie, de nombreux étudiants n’ont eu d’autres choix que de rentrer au nid. Quand les cours se font en visioconférence, quand disparaissent les petits boulots, à quoi bon payer un loyer ? Au moment du premier confinement, un tiers des 18-24 ans avaient quitté leur logement personnel pour s’installer chez un parent ou un proche, et 39 % déclaraient avoir subi une baisse de revenus, selon l’enquête Coconel réalisée par l’Institut national d’études démographiques (INED). Un an et trois confinements plus tard, certains ont le sentiment d’y avoir laissé des plumes – celles, notamment, de l’indépendance et de la liberté.
A 23 ans, Céline voit dans ce retour forcé « un sacré gâchis ». Après trois années de licence chez ses parents, dans la campagne proche d’Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône), l’étudiante a été acceptée en master de droit à l’université Paris-Saclay. « C’était enfin l’occasion d’avoir une vraie vie d’étudiante, toute seule ; de faire mes courses, mon budget… », regrette celle qui a pris un crédit pour pouvoir partir. En septembre 2020, Céline a loué son premier studio à Fontenay-aux-Roses (Hauts-de-Seine) – 500 euros par mois pour 23 mètres carrés : le prix de l’autonomie.
Mais, après deux semaines de cours, la fac a fermé et tout a basculé en distanciel. Céline n’a même pas eu le temps de rencontrer ses camarades de promo, ou tout juste sur Messenger. Alors, plutôt que de rester seule et sans lumière devant son écran, elle est retournée à la case départ, chez les parents, avec la grand-mère de 100 ans et le gros berger blanc suisse. « Ça crie souvent à la maison, parce que ma grand-mère n’entend rien ! lâche Céline, qui tente de se concentrer sur sa future carrière d’avocate. Même si j’ai beaucoup de chance de les avoir, j’ai aussi besoin de contacts avec des gens de mon âge. Pour moi, c’est fichu : mon master est covidé, je suis dégoûtée. »
Si la crise a réactivé la figure du « Tanguy » – personnage éponyme du film d’Etienne Chatilliez, thésard de 28 ans qui se love chez ses parents et ne souhaite pas en partir –, elle a aussi banalisé le retour à la maison, même après l’avoir une première fois quittée.« Avec la pandémie, on entre dans l’ère des Tanguy intermittents »,observe le sociologue Rémy Oudghiri, auteur de Ces adultes qui ne grandiront jamais. Petite sociologie des grands enfants (Arkhé, 2017). Ainsi, à mesure que s’intensifient la précarité et les incertitudes quant à l’avenir, que les modes de vie et d’études évoluent (stages en télétravail, cours en ligne…), les jeunes multiplient les allers-retours entre le domicile familial et des logements autonomes, pour des périodes plus ou moins longues.
« Le plus lourd, c’est la routine »
Un phénomène qui existait déjà et qui est accentué par la pandémie. Selon une étude de l’Insee publiée en 2018, la part des 18-29 ans habitant chez leurs parents augmente depuis 2000, poussée par la hausse du chômage, du prix des loyers et de la population étudiante. En 2013, cela concernait déjà près d’un jeune adulte sur deux (46 %). Mais la situation de ceux qui sont revenus vivre chez leurs parents « semble davantage subie » : lorsqu’ils ont moins de 30 ans, 40 % d’entre eux envisagent de partir à court terme.
« Je n’aurais pas envie d’y passer trop de temps, même si c’est rassurant de savoir que ce cocon existe », assume Marguerite, 21 ans, rentrée « en catastrophe » chez ses parents à Cognac (Charente) pendant le premier confinement. « C’est grand, c’est familier, c’est là où j’ai grandi. C’est important de garder un point fixe, une chambre qui m’est réservée où je peux retourner. » En mars 2020, l’étudiante à Paris-Dauphine n’a pas hésité à quitter sa chambre de bonne de 9 mètres carrés. Au début, Marguerite a eu l’impression de « recharger les batteries », en ressortant le Cluedo et la guitare avec ses sœurs. « Mais, au bout d’un moment, ça devient étouffant de devoir s’adapter au rythme de la famille quand on a l’habitude d’avoir le sien, ça finit par peser sur le moral. » Les repas à heures fixes, les journées qui s’enchaînent et se ressemblent. « Le plus lourd, c’est la routine », souffle Marguerite.Comme tous les étudiants qui ont témoigné, elle reconnaît un sentiment de « régression », une forme de retour aux années lycée.
Outre les frictions inévitables, la crise a aussi resserré des liens. Ema Trocello, étudiante de 24 ans en architecture, repense aujourd’hui au premier confinement chez ses parents avec « une pointe de nostalgie » : une parenthèse enchantée façon « vacances à la ferme » avec des poules, un hamac et des chevaux, mais aussi « un marathon du sucre » à cuisiner des tiramisus, fraisiers et ananas renversés. « On réalise maintenant qu’on n’était pas si mal près d’eux ! » dit-elle, désormais installée à Lyon, avec son copain.
« Affadissement des rites initiatiques »
Depuis un an, les frontières entre l’enfance, l’adolescence et l’âge adulte se font ainsi moins « étanches » : Elodie Gentina, enseignante-chercheuse en marketing à l’école de commerce Iéseg, parle d’un « affadissement des rites initiatiques ». Si le service militaire avait déjà disparu, le baccalauréat est aujourd’hui remis en cause, de même que la mobilité à l’étranger. « La crise brouille le processus d’autonomisation des jeunes, qui normalement se fait dans le temps par une succession d’essais-erreurs », explique cette spécialiste de la génération Z. D’où la frustration de ces jeunes qui disent « rater » des années centrales de leur jeunesse – n’ayant pu (ou si peu) expérimenter les cafés, les soirées et les amphis – et souffrant, à la longue, d’un isolement relationnel, d’un manque de vie sentimentale et sexuelle.
« Ici, je vis comme un moine », répète Robin Corrèze, qui, à 23 ans, a retrouvé intacts les posters placardés aux murs de sa chambre d’adolescent. En alternance en télétravail chez Total, l’étudiant à Sciences Po a fait le grand écart entre le quartier d’affaires de La Défense et la maison pavillonnaire de ses parents enseignants, à deux pas de la forêt, dans la commune de Pagney-derrière-Barine (Meurthe-et-Moselle, 630 habitants). « C’est un peu infantilisant, dit-il. Même si je ne suis pas à plaindre : je suis logé, nourri, blanchi, alors que je touche un salaire. »
Contrairement à nombre de ses camarades, Robin se paye le luxe de garder ses 9 mètres carrés inoccupés à Paris, en attendant la fin du télétravail. Mais c’est surtout pour ne pas encourir « le risque de devenir fou à vivre seul enfermé dans une boîte » qu’il a choisi de passer tous les confinements, reconfinements, re-reconfinements chez ses parents. « Pas hypersociable » en temps normal, Robin s’est rendu compte de « l’importance de tisser des liens durables »en dehors du cercle familial : dès son retour à Paris, il a prévu de « rattraper ce temps perdu » et de rencontrer « plein de monde » en s’inscrivant dans des associations.
Qu’ils soient de milieux modestes ou privilégiés, on note chez ces étudiants des sentiments ambivalents. Ils sont tiraillés entre le désir d’aller voir si l’herbe est plus verte ailleurs, le besoin, toujours pressant, de se faire aider par les parents, la culpabilité de ne pas être suffisamment reconnaissants.
« Eviter les sorties d’argent inutiles »
« Mes parents, je ne les remercierai jamais assez et, en même temps, ça m’agace de me dire que je vis toujours grâce à eux », se désole Matthieu Baubry, 19 ans, qui vit désormais ses allers-retours à Challans (Vendée) comme « une fatalité ». Au premier confinement, « pour éviter les sorties d’argent inutiles », il a lâché un premier logement à la Roche-sur-Yon, où il suit sa licence. En octobre 2020, l’étudiant boursier reprend un appartement dans la préfecture de Vendée. Il tient son budget jusqu’en février grâce à un petit boulot dans un supermarché… qu’il finit par perdre. « Sans job, je passais dans le rouge à coup sûr, et impossible de retrouver autre chose, raconte Matthieu. J’ai été obligé de retourner dans ma famille et il y a des combats qu’on ne peut pas gagner quand on ne paye pas le loyer ! » Passionné de jeux vidéo, il passe trop de temps sur les écrans, selon sa mère. Et avec trois frères et sœurs de 10, 13 et 15 ans, « les rythmes sont incompatibles et les loisirs franchement bruyants ».
Si Matthieu vit son retour chez ses parents comme « un échec », c’est parce qu’en France le jeune qui réussit reste celui qui se sépare physiquement de ses parents pour se construire librement. Quitte à s’installer dans un espace minuscule. « Contrairement à l’Espagne, c’est le modèle qu’on valorise socialement, pointe Sandra Gaviria, professeure de sociologie à l’université du Havre et autrice de l’ouvrage Revenir vivre en famille. Devenir adulte autrement (Le Bord de l’eau, 2020). La France a favorisé aussi le développement des studios individuels dont on a vu les limites cette année : pour grandir, il faudrait être seul et souffrir. Mais ce n’est pas viable, on en tirera les leçons. »
Pénalisés par la flambée des prix de l’immobilier, les étudiants consacrent la moitié de leur budget à leur logement, selon les derniers chiffres de l’Observatoire de la vie étudiante. Dans un tel contexte, l’autonomie résidentielle n’est pas toujours synonyme d’indépendance financière : « Le “devoir parental” consiste alors à aider l’enfant à se construire dans un nouvel endroit », précise Sandra Gaviria. Faute d’aides suffisantes de l’Etat, c’est donc à papa-maman de mettre la main au porte-monnaie – et ce, d’autant plus en période de crise. « Telle une main invisible, on est dans la “famille-providence”, fait valoir Rémy Oudghiri. Eux-mêmes décrits comme génération sacrifiée avec la crise de 1993, les parents d’aujourd’hui ont une sorte d’empathie naturelle pour des jeunes qui peinent à s’intégrer. »
« Environnement hostile »
Mais qui dit pratiques d’entraide décuplées, dit inégalités renforcées. Quand certains réalisent qu’ils ont la chance d’avoir une famille comme solution de repli, d’autres se heurtent à des difficultés financières ou relationnelles. En fin d’études, Yoann a tenté de contrer la solitude en allant chez son père et sa belle-mère. « Pas forcément le bienvenu », l’ingénieur de 25 ans s’est même senti « dans un environnement hostile ». A force d’idées noires, « pour [son] bien », il est vite reparti.
Pour Clara, il serait temps de s’échapper aussi. La jeune femme de 21 ans vit encore chez son père, dans la périphérie de Lille. Cette année, elle n’a plus supporté la proximité avec son grand frère bipolaire – « ni sa violence ni ses sautes d’humeur ». « Avant la crise, j’arrivais à sortir pour me changer les idées, témoigne-t-elle. Là, je suis coincée. » Stressée par la réussite de ses concours pour des écoles de journalisme, Clara a fini par se réfugier quelques semaines chez sa mère, téléconseillère avec « des horaires de malade ». « Elle n’a qu’une petite pièce, elle dort sur un clic-clac. On a acheté un matelas, que j’ai mis à côté d’elle », détaille celle qui s’aère de nouveau la tête grâce au basket. Et d’ajouter : « Mon seul objectif avec mes études, c’est de partir de ma maison. »
Quitter la maison : un objectif au diapason avec les vœux récemment formulés par les candidats sur Parcoursup. Après une année et demie de privation de relations sociales, à jongler entre le lycée en ligne et en présentiel, ils sont aujourd’hui plus nombreux à avoir envie de se faire la malle : 74 % des inscrits ont confirmé au moins un vœu en dehors de leur académie – soit cinq points de plus que l’an dernier.
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