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mardi 28 juillet 2020

Homoparentalité, une ère de familles

Par Catherine Mallaval — 
Anne, Véronique et leurs jumeaux Angèle et Lucien, à Brest en 2013.
Anne, Véronique et leurs jumeaux Angèle et Lucien, à Brest en 2013. Photo Vincent Gouriou

Des déboires juridiques des années 90 à la PMA pour toutes, en passant par le pacs et le mariage gay… Alors que la loi de bioéthique revient cette semaine en deuxième lecture à l’Assemblée, retour sur les progrès, lents mais gigantesques, de la reconnaissance de la parentalité homosexuelle.

Petit à petit, ils ont fait leur nid. Pas à pas, ils ont fondé leurs familles. Cessé de censurer leur désir. Assumé de vouloir des enfants. Revendiqué d’être des parents comme les autres. Eux ? Ce sont les «homoparents», qui voilà vingt-cinq ans n’avaient même pas de nom pour se présenter tels qu’ils sont : des parents de même sexe. Mais des parents comme les autres. La route a été longue. Et un dernier verrou s’apprête à sauter, comme on débouche une bouteille de champagne qui s’appellerait «cuvée reconnaissance» ou «grand cru égalité» : de retour en deuxième lecture à l’Assemblée nationale depuis lundi, la loi ouvrant la procréation médicalement assistée (PMA) à toutes est à nouveau sur les rails (lire aussi page 16). Quand elle sera (enfin) votée, les couples de lesbiennes - et les célibataires - pourront être mères (en bénéficiant d’un don de sperme) sans détour par des pays aux législations plus clémentes depuis bien longtemps (Belgique, Espagne…), sans craquer leurs économies, sans la pesanteur de se sentir des citoyennes à part…
Après l’adoption du pacs (1999), après le vote de la loi ouvrant le mariage et l’adoption à tous (2013) dans les cris et la douleur des homos souvent insultés, cette loi qui chemine pour l’heure sans grande manifestation d’hostilité sera «un aboutissement» et «inscrira l’homoparentalité dans une réalité sociale et juridique», comme le résume la sociologue Martine Gross, spécialiste des conjugalités et des parentalités homosexuelles. Et ce, même si pour l’heure la gestation pour autrui (GPA), à laquelle des couples d’hommes aspirent, reste un interdit et un tabou - que certains contournent à l’étranger.
La victoire des homoparentes est à portée de main. Arrachée après quelque trente années passées à brandir des pancartes dans la rue, réclamer justice devant les tribunaux, être auditionnés par les politiques, témoigner de leur vie de famille si normale dans les médias. Retour en arrière. En trois actes. En attendant un heureux épilogue avec beaucoup d’enfants.

Acte I : ça balbutie dans le placard

Direction les années 90. Bien sûr, avant que n’émergent les premières revendications d’égalité, il y a toujours eu des parents homo, souvent cachés dans des couples hétéro avec une sexualité plus ou moins planquée. Mais un premier pas vers l’homoparentalité admise et reconnue est franchi quand naît l’Association des parents et futurs parents gays et lesbiens (APGL) en 1986. Un premier pas seulement : «Aux débuts de l’association, il y avait beaucoup de parents divorcés qui avaient eu des enfants dans des cadres hétéro, s’étaient séparés, se demandaient comment en parler à leurs enfants, et d’autres encore en couple qui s’interrogeaient sur comment le dire à leur conjoint. Ceux qui venaient pour avoir des enfants étaient une minorité. Même si quelques hommes avaient eu recours à la GPA et des femmes à la PMA», raconte Martine Gross, coprésidente de l’association de 1999 à 2003. Des GPA ? On l’oublie, mais la GPA n’a été réglementée et interdite en France qu’en 1991 (interdiction confirmée en 1994), tandis que la PMA a été encadrée et réservée aux hétéros en 1994. A cette époque, dans certains couples, l’un se lance dans une adoption en célibataire, sans que l’autre ne puisse établir de lien légal avec l’enfant.
Signe que l’homoparentalité est encore cadenassée dans un placard, l’attitude de la justice. La scène se passe en 1996. La jeune avocate Caroline Mécary, 1,63 mètre de détermination, est sollicitée par un homme, Thomas, marié avec Agnès. Thomas sait qu’il est homo depuis très longtemps, il a espéré (comme tant d’hommes à l’époque) que ça lui passerait. Il a eu quatre enfants avec Agnès. «A l’approche de la quarantaine, il n’a plus supporté de vivre dans le mensonge et a décidé de divorcer», raconte maître Mécary. Problème : sa femme lui refuse de voir ses enfants hors de la présence d’un tiers. Lui, comme tous les pères, veut juste obtenir un droit d’hébergement classique : un week-end sur deux et la moitié des vacances. «Quand je suis arrivée dans le bureau de la magistrate avec Thomas, raconte Caroline Mécary, j’ai tout de suite perçu qu’elle regardait mon client avec mépris et dégoût. Physiquement, elle cherchait à s’éloigner de nous. J’ai perdu cette affaire. L’attitude de cette magistrate m’a ulcérée.» En 1996, à l’évidence, la famille homoparentale est dans un trou noir d’un point de vue juridique…

Acte II : familles homo, montrez-vous

Fin des années 90 : début de l’accélération. Lors des débats qui précèdent l’adoption du pacs, l’APGL est auditionnée. Et gagne en visibilité. Oui, il existe des homoparents qui aimeraient être pris en compte. Et les politiques sont bien conscients qu’après avoir obtenu le pacs, les homos voudront adopter ou être aidés à concevoir des enfants. «Les journalistes s’emparent alors du sujet. L’APGL encourage ses adhérents à témoigner. On voit, on montre les familles homo», raconte Martine Gross. Les adhésions à l’association se multiplient. En 1995, ils sont 70 adhérents, en 1997 on monte à 300, en 1999 en voilà 600 (merci le pacs). Dans les années 2000 ; le cap des 1 500 est franchi… Au fil du temps, deux associations viennent renforcer les rangs de ceux qui militent pour l’égalité entre homos et hétéros : les Enfants d’arc-en-ciel en 2007 et l’Association des familles homoparentales (ADFH) en 2010.
Selon la sociologue, «la prise en compte par les politiques, la visibilité médiatique, tout cela donne de l’estime de soi aux homos qui s’autorisent de plus en plus à fonder des familles». Quitte à inventer de nouveaux modèles, comme celui de la coparentalité : l’enfant ayant une mère lesbienne et un père gay, accompagnés de leurs conjoints respectifs. Mais la partie n’est pas encore gagnée. «A la fin des années 90, il n’y avait quasiment aucune publication française sur les homoparents, explique Martine Gross. L’APGL a alors écrit aux laboratoires de recherche, les invitant à plancher sur le sujet.» Des chercheurs comme l’ethnologue Anne Cadoret, auteure notamment de Des parents comme les autres : homosexualité et parenté, vont retrousser leurs manches. Un groupe de travail auquel participent les sociologues François de Singly ou Eric Fassin. Martine Gross aussi enchaîne les travaux. Et les publications. «Tout cela a montré la réalité des parents homosexuels, déminé des fantasmes, levé des tabous. Permis de comprendre que la famille homoparentale n’est qu’une forme de famille parmi des modèles qui se sont démultipliés. Et, au fond, de mieux étudier la norme. De réfléchir aussi à des notions aussi importantes que la filiation», explique celle à qui l’on doit, rien que ça, le terme de «famille homoparentale». «C’était en 1997, on était trois à réfléchir sur le titre d’un livre qu’on venait d’écrire. J’ai lancé le mot. Il a été adopté.» Ainsi paraît le Petit guide (bibliographique) à l’usage des familles homoparentales et des autres.
Fort bien. Mais quid des droits de ces familles ? Longue conquête. Caroline Mécary : «De mon côté, j’ai cherché dans le droit de quelles règles on pouvait user pour apporter une protection aux enfants de ces familles.» En 2000, elle défend Marie-Laure et Carla qui vivent ensemble depuis quinze ans. Elles ont eu trois enfants par insémination artificielle. Marie-Laure les a portés. Elles veulent les protéger et, pour ce faire, donner un statut légal à Carla. «Je me suis penchée sur un mode d’adoption peu connu : l’adoption simple, qui a l’avantage d’ajouter une filiation, alors que la plénière en supprime une. J’ai déposé ma requête. Cela n’avait jamais été fait. Nous avons gagné. C’était le premier pas vers la reconnaissance d’une famille homoparentale.» Un verrou saute. L’avocate joue aussi la carte de la délégation d’autorité parentale pour protéger les parents non biologiques, ceux que l’on appelle «parents sociaux». Mais «cela a été chaotique», souligne Caroline Mécary, qui un coup perd, un coup gagne.

Acte III : égalité, égalité !

5 juin 2004, Noël Mamère, maire de Bègles, célèbre le premier mariage homosexuel en France, malgré une vive opposition et en toute illégalité. Le mariage va être annulé, mais la fusée est sur orbite. Même si «en 2007, Sarkozy considère que l’on peut se contenter du pacs, de plus en plus de Français se demandent pourquoi hétéros et homos ne sont pas traités à égalité. Et pourquoi les enfants d’homos sont moins protégés que les autres», raconte Caroline Mécary qui a défendu les mariés de Bègles. Enfin, en 2012, le candidat Hollande promet dans ses engagements le mariage et l’adoption pour tous. S’il évoque oralement la PMA pour toutes, elle restera en rade. Telle une promesse cent fois repoussée. Mais «la loi de 2013, qui permet aux homos d’adopter l’enfant de leur conjoint, est un très grand pas», résume l’avocate. Un pas de géant pour l’homoparentalité, qui peut s’assumer de mieux en mieux. Un signe qui ne trompe pas ? «Très tôt, j’ai fait des enquêtes sur la façon dont les enfants nés de couples homosexuels appellent leurs parents, relate Martine Gross. Il y a vingt-cinq ans, il y avait une maman et sa compagne. Les couples ne s’autorisaient pas à dire "on est deux mamans". Et les enfants appelaient la compagne par son prénom, ou tata, ou marraine, mamou, mamina, ou encore mutti, emprunté à l’allemand. A partir de la loi Taubira, elles sont légitimées et se permettent d’être deux mères. Deux femmes qui se font appeler "maman" en accolant chacune leur prénom.» Tout un symbole. Que la PMA pour toutes devrait finir de conforter.

Un calendrier décrié

Dernier examen avant la quille estivale. Le retour du projet de loi de bioéthique à l’Assemblée cette semaine (avec 2 300 amendements déposés) déplaît aux opposants LR, qui se sont jetés sur l’occasion pour dénoncer une discussion «en catimini» - même si le texte a déjà été vu en première lecture. Le calendrier ne fait pas non plus les affaires de toute la majorité : les marcheurs étaient nombreux à réclamer l’adoption rapide de la PMA pour toutes, mais certains s’inquiètent de la tournure que vont prendre les échanges. En commission début juillet, les députés sont parfois allés plus loin que la version votée en première lecture, décidés, pour certains, à s’affranchir des lignes. Pour éviter les surprises, le groupe LREM a sonné le rappel et mis en garde contre les envies de départ en vacances anticipé. L.Eq.

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