Serge Cannasse 3 févr. 2020
Dans son édition du 20 janvier 2020, Slate publie des bonnes feuilles du livre du Pr Stéphane Velut, chef du service de neurochirurgie au CHU de Tours, « L’hôpital, une nouvelle industrie – Le langage comme symptôme » (Gallimard, collection Tracts. 48 pages, 3,90 euros). Aux analyses économiques de la crise de l’hôpital, il ajoute la dénonciation d’un système de communication entre les « gestionnaires » de l’hôpital et les personnels soignants mis en place sous l’influence de cabinets conseils auprès des directions hospitalières. Il signale au passage que leurs prestations ont coûté 1,2 millions d’euros à l’AP-HP (Assistance publique - Hôpitaux de Paris) en 2016, « soit le salaire annuel d’une trentaine d’infirmier(e)s en début de carrière. »
Cette communication est effectuée au moyen d’un langage qui « masque sous des termes tarabiscotés constats, projets, décisions…, dont l’énonciation simple brutaliserait l’oreille. » On dira « nouvel hôpital », « démarche d’excellence », « optimisation des pratiques », jusque là « parfaitement inappropriées ». Ce qui signifie réduire le nombre de lits et la durée des séjours, « limiter le stock de gens et en accélérer le flux . » Les gestionnaires n’osent plus parler de maîtrise de dépenses de santé, ni même d’ONDAM (Objectif national de dépenses d’assurance maladie). Ils tentent de « r égler le problème en silence ». Car leur but leur semble « inavouable : réduire les dépenses. » D’où l’invocation de la « pédagogie » au lieu des mots « information » et « décision ».
Le résultat est que « médecins et gestionnaires ne parlent plus la même langue. Les premiers au contact de la maladie et de la mort usent de mots concrets pour dire ce qu'ils font. Ils n'ont pas le choix. Les seconds, au contact d'un déficit préoccupant creusé par des réformes irrationnelles de tarification, usent de ce métalangage pour ne pas dire, eux, ce qu'ils font. »
Pour Stéphane Velut, ces gestionnaires étant des croyants dont l’argumentation relève plus de la foi gestionnaire que d’évaluations rigoureuses, il sera difficile de réfuter leurs arguments. Ils voient en effet « la technique comme un substitut au moins partiel au flair, à l’œil et à la main, le praticien n’intervenant que lorsqu’elle ne peut se passer de lui. »
Stéphane Velut évoque bien sûr le célèbre roman de George Orwell, « 1984 ». Mais il serait facile d’y ajouter les travaux de nombre de sociologues du travail, qui depuis plusieurs années dénoncent ce « métalangage » et les modifications des conditions de travail qu’il accompagne, à l’hôpital comme dans beaucoup d’entreprises du monde entier.
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