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lundi 3 février 2020

INTERVIEW Loi bioéthique : «Pour moi, un enfant désiré est un enfant heureux»

Par Catherine Mallaval, photos Denis Allard et Laure Equy — 




Photo Denis Allard pour Libération


Médecin et sénateur LR, Alain Milon détonne à droite pour ses opinions pro-PMA et GPA. A la veille du vote sur le texte au Sénat, il revient sur les points de friction et défend l’idée d’une famille définie par le «projet parental» plutôt que par la biologie.

Le mariage pour tous ? Il était pour (1). La PMA pour toutes ? Pour encore. La PMA post-mortem ? Favorable. Et la GPA ? Oui, aussi. Sénateur Les Républicains du Vaucluse et médecin Alain Milon a présidé la commission spéciale chargée de plancher sur le projet de loi bioéthique que la Chambre haute doit voter mardi. Très peu réceptif aux cris des manifestants anti-PMA qui se sont succédé devant le Palais du Luxembourg - «les murs sont épais», s’amuse Milon, même s’il a pris soin de les recevoir - l’élu revient sur les débats qui se sont achevés le 29 janvier, avec des convictions qui doivent décoiffer plus d’un LR : «Au cours de ma carrière de médecin, je n’ai jamais vu de personne qui, exerçant un "droit à l’enfant", n’ait pas respecté les droits de l’enfant. […] Pourquoi parler d’un enfant sans père ? On devrait plutôt dire "enfant sans mâle". Le mâle n’est là que pour représenter l’autorité. Mais l’autorité peut très bien être représentée par l’une des deux mères ou par la mère seule.»
En accord avec le gouvernement lorsqu’il insiste sur le «projet parental» qui fonde la famille, à rebours de la vision biologique brandie par les conservateurs, Alain Milon convainc moins lorsqu’il défend le non-remboursement de la PMA pour les couples de lesbiennes et les femmes célibataires, ou la réécriture par le Sénat du mode d’établissement de la filiation. Un des points sur lesquels l’Assemblée nationale ne devrait pas manquer de revenir lorsqu’elle examinera le texte en deuxième lecture. Mais à 72 ans, l’homme reste bigrement vif, sans vaciller ou s’époumoner quand le mot d’eugénisme est brandi par ses collègues opposés, entre autres, au diagnostic pré-implantatoire des embryons, technique (DPIA), qui permet de détecter des anomalies chromosomiques. Celui qui s’est un jour fait traiter de «Dr Mengele» dans la presse régionale, pour s’être prononcé en faveur de l’expérimentation de salles de shoot dans un cadre hospitalier, en a vu d’autres.
Le Sénat qui vote le principe de la PMA pour toutes… avez-vous reconnu vos collègues ?
Ce n’est pas étonnant ! Quand j’étais rapporteur de la précédente loi bioéthique, en 2011, j’avais proposé d’ouvrir la procréation médicalement assistée, ce qui avait été refusé. J’avais également suggéré d’autoriser la gestation pour autrui, ce qui avait fait scandale. Dix ans se sont écoulés. Comme la société, le Sénat, qui a rajeuni, évolue. J’en suis content. J’en discutais d’ailleurs avec un collègue LR qui, comme moi, n’était pas hostile au mariage pour tous en 2013. A l’époque, ce sénateur avait reçu des centaines de mails incendiaires. Cette fois, pour la PMA, il n’a reçu que deux mails de réprobation d’élus de son département (qui sont nos électeurs).
Le groupe LR s’est toutefois majoritairement opposé à l’extension de la PMA…
Je ne suis pas d’accord. Sur les 144 sénateurs LR, nous sommes une soixantaine à ne pas avoir voté contre - entre ceux qui n’ont pas pris part au vote, se sont abstenus ou ont voté pour. Sans cette soixantaine, cela ne passait pas. Et puis à partir du moment où l’on a voté, je ne regarde plus les étiquettes partisanes. C’est le vote du Sénat, point. D’autant plus qu’on a tous considéré qu’il s’agissait d’un travail transpartisan.
Paris, le 30 janvier 2020. Portrait d'Alain Milon, sénateur (LR), président de la Commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi relatif à la bioéthique, dans son bureau du Sénat.
Photo Denis Allard pour Libération

Les sénateurs ont exclu la PMA pour les femmes seules ou les couples de femmes du remboursement par la Sécu. Dès lors qu’on autorise l’accès à cette technique, pourquoi cette différence de traitement ?

C’est une idée toute simple. Ce qui entre dans le remboursement de la Sécurité sociale a trait directement à la maladie, y compris la PMA pour les couples hétérosexuels puisqu’il s’agit d’infertilité constatée par un médecin. Je ne voulais pas que l’homosexualité soit à nouveau associée au registre de la maladie comme c’était le cas dans les années 70.
Dans ce que nous proposons, une femme - célibataire ou en couple avec une autre femme - paierait la première insémination artificielle. Je considère que cet acte, qui coûte 70 euros, peut être pris en charge par les mutuelles. Si l’insémination est un succès, la grossesse est prise en charge intégralement. Si elle ne réussit pas, cela devient une infertilité médicalement constatée et dans ce cas, il y a prise en charge par la Sécurité sociale.
Votre commission avait approuvé la possibilité pour les femmes de faire congeler leurs ovocytes et, ainsi, de s’affranchir un peu de leur horloge biologique. Finalement, c’est rejeté. Pas très féministe, non ?
J’étais favorable à cette autorisation. Mais mes collègues ont pointé le risque que l’employeur fasse pression sur sa salariée pour qu’elle ait recours à une autoconservation de ses ovocytes afin de pouvoir continuer à travailler. Nous avions pourtant précisé dans le texte que l’autoconservation ne pouvait pas être financée par l’employeur, donc pour moi, cet argument ne tient pas.
Les débats ont souvent confronté deux idées de la famille : une vision biologique et une conception qui repose sur le projet parental. Où vous situez-vous ?
Pour moi, un enfant désiré est un enfant heureux. Certains opposants à l’extension de la PMA ont soulevé la question des enfants soi-disant «sans père». On devrait plutôt parler d’un «enfant sans mâle» : le mâle n’est là que pour représenter l’autorité. Mais l’autorité peut très bien être représentée par l’une des deux mères ou par la mère célibataire.
Au cours de ma carrière de médecin, je n’ai jamais vu de personne qui, exerçant un «droit à l’enfant», n’ait pas respecté les droits de l’enfant. Jamais. Et si on veut vraiment en finir avec ce «droit à l’enfant», alors il faudrait aller au bout de la logique et interdire la pilule et l’IVG.
Le mode d’établissement de la filiation entre deux femmes et un enfant a été remanié. Dans la version du Sénat, la mère d’intention (celle qui n’a pas porté l’enfant) devrait en passer par l’adoption de son propre enfant. N’est-ce pas absurde ?
Cela oblige à une démarche administrative supplémentaire mais n’entraîne pas de conséquence pour les deux parents qui seront toutes les deux mères, une par l’adoption et une par la naissance. Ça ne me choque pas.
Paris, le 30 janvier 2020. Portrait d'Alain Milon, sénateur (LR), président de la Commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi relatif à la bioéthique, dans son bureau du Sénat.
Photo Denis Allard pour Libération

La possibilité de procéder à un diagnostic pré-implantatoire des embryons dans le cadre d’une PMA a été rejetée. Dommage ou pas ?
On l’avait autorisé à titre d’expérimentation en commission, alors que l’Assemblée nationale s’y était opposée. Mais on s’est retrouvés minoritaires dans l’hémicycle. La ministre de la Santé, Agnès Buzyn, s’est prononcée contre et les sénateurs LREM l’ont suivie en masse. J’espère que l’on reviendra sur ce point en deuxième lecture car ce diagnostic est précieux. Seulement 20 % des tentatives de PMA aboutissent. Afin de ne pas entraîner une souffrance supplémentaire pour les femmes qui se sont lancées dans ce type de parcours, les spécialistes de la médecine reproductive souhaitent simplement pouvoir éviter de mettre en intra-utérin des fœtus qui ne tiendront pas jusqu’au bout de la grossesse. Dans le cadre d’une PMA, on obtient quatre ou cinq embryons maximum. Si on ne peut pas regarder ceux qui sont viables ou pas, on risque d’implanter quatre embryons non viables…
Certains n’hésitent pas à brandir le spectre de l’eugénisme. Et mettent notamment en avant le fait que des couples ne souhaitent pas nécessairement interrompre une grossesse après avoir découvert que leur futur enfant est atteint de trisomie 21…
Il ne faut pas se tromper de trisomie ! Ce qui nous intéresse, ce sont les trisomies 18 et 13, qui entraînent la mort de l’enfant. Quant à la trisomie 21, je rappelle que son dépistage sur la femme enceinte est autorisé. Sur les quelque 8 000 dépistages pratiqués tous les ans, il y a environ 1 500 femmes qui gardent l’enfant [les autres demandent un avortement thérapeutique, ndlr].
Les débats autour des évolutions que permet la science sont souvent très passionnés. A contrario, vous semblez les aborder plus tranquillement que vos camarades.
Parce que je fais confiance aux scientifiques, quand d’autres craignent l’épouvantail du docteur Folamour. Mais je pense que si l’on interdit, les docteurs Folamour auront davantage de chances d’arriver à leurs fins que si l’on autorise. J’en profite pour faire une mise au point sur la question de la génétique. Tout le monde en a peur et fantasme sur la fabrication d’un bébé sur mesure, en vérité impossible. Beaucoup de points ayant trait à la génétique ont été ainsi rayés du texte, comme les tests à visée généalogique, l’introduction de cellules humaines dans des embryons d’animaux, l’autorisation de modifier génétiquement des embryons à des fins de recherche… Nous allons avoir des doctorants et des post-doc qui seront obligés d’aller à l’étranger pour poursuivre leurs travaux. On se prive de gens intelligents.
Le président du groupe LR, Bruno Retailleau, a introduit dans le débat le sujet de la GPA, qui n’est pourtant pas dans le projet de loi. Il a fait voter un amendement destiné à empêcher la transcription à l’état civil français de l’acte de naissance des enfants issus d’une GPA à l’étranger. N’est-ce pas, au motif de décourager une pratique, s’en prendre aux enfants ?
Il n’y a pas de volonté de Bruno Retailleau de s’en prendre aux enfants, ce n’est vraiment pas le style du monsieur. J’ai voté contre cet amendement car il ne faut pas que les enfants soient victimes de leur mode de conception. Cela dit, il est exact que si on reconnaît un enfant né par une marchandisation à l’étranger, on favorise la marchandisation du corps de la femme. Et j’y suis opposé : ce n’est pas normal de payer 40 000, 60 000, voire 150 000 euros pour une GPA.
C’est pour cela que je milite depuis longtemps pour qu’il y ait une loi française qui autorise la gestation pour autrui sous forme de don, sans aucune transaction, pas même un dédommagement, mais avec une prise en charge par la Sécurité sociale de la fécondation in vitro, de la grossesse de la femme qui porte l’enfant, une indemnisation des jours non travaillés, etc. C’est la meilleure façon, à mon sens, de lutter contre la marchandisation du corps. C’était déjà ma position quand j’ai rédigé une proposition de loi sur la GPA en 2010.
Pensez-vous un jour réussir à la transformer en loi en ce sens ?
Je suis trop vieux désormais ! Mais d’autres y parviendront pour moi. Ce qui était impensable avant-hier sera inéluctable demain.
Au fond, que faites-vous chez LR avec des positions pareilles ? Vous ne vous sentez pas en porte-à-faux ?
Ils ne m’en veulent pas et je ne leur en veux pas. Ensuite, la droite est bien obligée d’évoluer si elle veut se maintenir. Vous savez, les partisans de la GPA à droite sont plus nombreux qu’on ne le pense, mais ils ne s’expriment pas officiellement. Et ailleurs, c’est pareil. La plupart des communistes sont contre la GPA, par exemple. Et moi, je suis contre une économie communiste… Les socialistes ne savent plus du tout où ils en sont sur ce sujet : certains sont pour, d’autres contre. Quant à La République en marche, sur ces questions de bioéthique, ils suivent Agnès Buzyn les yeux fermés. Je me sens bien dans mon groupe parce que j’ai le droit d’avoir mes propres pensées sans qu’on me les reproche.
(1) Il s’était abstenu lors du vote. Motif : la loi qui ouvre le mariage à tous ouvre aussi l’adoption aux homosexuels. Mais une adoption plénière, qui efface la filiation précédente, alors qu’il militait pour une adoption simple.

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