Ouvert en décembre 2019, le parc de Tohannic, dans le Morbihan, a adapté balançoires, toboggans et autres « tape-cul » aux enfants porteurs d’un handicap. Une manière ludique de rompre avec l’isolement et de jouer comme et avec les autres.
Ici, tout le monde a le droit d’être enfant. De rebondir, grimper, ramper, glisser, tripoter, se balancer, hurler ou bouder, et même désobéir aux parents. L’aire de jeux du parc de Tohannic, à Vannes, inaugurée fin décembre 2019, n’offre rien de plus spectaculaire. Elle est pourtant la première de cette taille en France, sur l’espace public. Ses jeux d’extérieurs – une trentaine, sur 750 mètres carrés – sont « inclusifs » comme on dit désormais ; bref, accessibles à tous les minots porteurs, ou non, d’un handicap, et quel que soit ce handicap.
En ce vert quartier résidentiel de bord d’étang, un panonceau « Aire de jeux », traduit en braille, flèche la direction d’une grosse balançoire-plateau dont un côté s’abaisse pour pouvoir y glisser un fauteuil roulant ; comme on peut le faire sur le « tape-cul » géant, ou sous les jeux de manipulation, et sur le trampoline au ras du sol. Un toboggan élargi incite à la descente accompagnée. Aux beaux jours, un chemin sensoriel de galets, bois et herbe, s’offrira aux pieds nus.
Partout, des couleurs pétantes, des sons, lumières, textures, des objets à manipuler, stimulent les sens, auxquels une multitude de petites cachettes permettent aussi le repos.
Deux ans de travail
Elaborer ces mille détails qui n’en sont pas pour les enfants autistes ou trisomiques a demandé deux années de travail. L’idée est venue d’Andalousie.
A Tarifa, où ils passent leurs vacances, les parents de Lucie, 10 ans, polyhandicapée, ont découvert des jeux de square adaptés aux fauteuils roulants. La maman, Laure Le Meitour, psychomotricienne de métier et membre de la commission d’accessibilité de Vannes, interpelle le maire à son retour : « J’ai montré les photos de ma fille tout sourire sur la balançoire en suggérant que notre ville, bien plus grande que Tarifa, ait le même genre d’équipements. Le maire m’a dit : “O.K., on fait ça !” »
Ancien travailleur social, l’édile de centre droit, David Robo, s’est érigé en promoteur de l’inclusion – Vannes compte déjà une classe d’enfants autistes au sein d’une école élémentaire, ainsi qu’une crèche et des centres de loisirs pensés pour les petits en situation de handicap. La machine est lancée : groupe de travail, cahier des charges pointilleux pour appel à projets, puis conception de concert avec le fabricant, Proludic, qui dès 2015 a eu le bon goût d’éditer le catalogue « L’aire de jeux inclusive ». « En France, nous avons un wagon de retard par rapport à l’Europe du Nord, l’Italie et l’Espagne où nous avons mené notre premier projet il y a dix ans », note Nadine Rollet, directrice commerciale et marketing France.
« C’est l’ensemble du cheminement et du parc qui doit être conçu pour être accessible », insiste-t-elle. Pas seulement les jeux. « Ni graviers ni copeaux, sinon tout est fichu en l’air », acquiesce Chrystel Delattre, la très volontaire conseillère municipale déléguée au handicap.
Le jeu, indispensable au développement de tout enfant
Vaste espace tranquille, parking, lignes de bus et même tables de pique-nique adaptées aux fauteuils, puisque nombre d’institutions spécialisées ont déjà prévu une sortie à la journée. Budget final : 500 000 euros (que le conseil départemental, la Caisse d’allocations familiales et le Rotary sont venus alléger). Cinq fois plus qu’en version « enfants valides seulement ». Le prix du rire de Lucie et de ses copains.
« A Noël, elle était sur le trampoline dans son fauteuil, avec un bonnet sur la tête, quand un petit bonhomme m’a demandé : “C’est une fille ou un garçon ?”, se remémore Laure Le Meitour. Quand je lui ai répondu, il a dit : “Je vais faire sauter la Mère Noël !”Et il a sauté avec tant d’enthousiasme, face à Lucie, qu’elle s’est mise à rire. C’était un chouette moment ! Les enfants valides lui donnent l’énergie qu’elle n’a pas. »
Motricité, confiance en soi, imaginaire, relation aux autres… Le jeu est indispensable au développement de tout enfant, même en situation de handicap. Une évidence qui mérite d’être rappelée, selon Laurence Bataille, de France handicap (APF) Bretagne : « Il montre à l’enfant qu’il est avant tout un enfant, et pas un handicap. Qu’il est acteur, pas seulement spectateur du jeu des autres. Et puis, rire des mêmes jeux, avec nos différences, c’est demain avoir moins de freins à aller les uns vers les autres. C’est essentiel pour changer la société. »
Une initiative qui fait des émules
Ici, les fauteuils n’intriguent qu’un temps, avant d’amuser ceux qui peuvent les pousser. Les familles, aussi, se rapprochent. Frères, sœurs, enfin dans le même rebond. Père d’enfant qui court, mère d’enfant qui roule, en grande conversation. « D’habitude, on est très isolés avec nos enfants », souffle la maman de Lucie.
Vannes inspirera-t-elle ? Des coups de fil, déjà, sont arrivés en mairie : d’autres villes se tâtent, viendraient bien visiter…
Plus de dix ans après la loi de 2005 sur l’égalité des droits et chances, seules quelques municipalités – dont Grande-Synthe (Nord), Rodez, Bourges, Arras, Colomiers (Haute-Garonne), Nancy et bientôt Orléans et Compiègne (Oise) – ont rendu, à une moindre échelle qu’ici, leurs aires de jeux plus universelles.
Mais depuis quatre ou cinq ans, Proludic reçoit « davantage de demandes ». « L’information circule sur les réseaux sociaux. Les parents voient que cela existe, et sollicitent leur commune. » L’effet boule de neige de l’aire de jeux ouverte à Noël.
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