L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a déclaré que 2020 serait l’année internationale des sages-femmes et du personnel infirmier, afin de marquer les 200 ans de la naissance de Florence Nightingale, qui a défini les principes régissant les soins infirmiers et l’hygiène hospitalière à l’époque moderne. Si celle-ci se rendait aujourd’hui dans un hôpital, elle constaterait avec satisfaction les avancées qu’a connues la profession depuis le XIXe siècle, mais aussi les évolutions qui restent à venir.
Florence Nightingale a fondé la première école de soins infirmiers dans un hôpital londonien en 1860, et elle a écrit environ 200 livres et articles scientifiques. Elle a été la première femme admise à la Société royale de la statistique, au Royaume-Uni.
À l’époque où elle soignait les soldats britanniques pendant la guerre de Crimée, elle a défendu l’hygiène hospitalière en proposant un graphique circulaire adapté, appelé “Diagramme des causes de mortalité dans l’armée sur le front de l’Est”. Elle voulait montrer que les soldats mouraient plus souvent d’infection que de leurs blessures et elle a conçu son graphique afin de “montrer aux yeux ce que nous ne parvenons pas à transmettre au cerveau du grand public par ses oreilles sourdes aux mots”.
Davantage de tâches
Aujourd’hui, beaucoup de gens – voire une majorité – assimilent la profession d’infirmière à un ensemble restreint de gestes que l’on apprend dans les salles d’hôpital, comme à l’époque de Nightingale. En réalité, les infirmières ont des diplômes universitaires et il est possible de suivre un cursus doctoral en soins infirmiers.
Comme les médecins, les infirmières se spécialisent dans de très nombreuses disciplines cliniques, comme la néonatalogie, la cardiologie ou la médecine d’urgence. Il y a même des infirmières dans le domaine médico-légal. Les innovations s’enchaînent si vite dans ce métier que certains numéros de la revue mensuelle American Nurse comptent plus de 70 pages.
En 2020 et les années suivantes, le personnel infirmier accomplira un nombre croissant de tâches qui étaient traditionnellement réservées aux médecins, que ce soit dans le cadre de soins ponctuels ou chroniques. Aux États-Unis, près de deux tiers des produits anesthésiants sont d’ores et déjà administrés aux patients par des infirmières ayant une habilitation. Au Royaume-Uni, des infirmières spécialisées accomplissent désormais des actes chirurgicaux abdominaux, orthopédiques et cardiaques.
Des personnes de confiance
Dans certaines régions de l’Afrique subsaharienne, les infirmières suivent une formation leur permettant de réaliser des césariennes en urgence, et leurs résultats sont comparables à ceux des médecins.
De plus en plus, le personnel infirmier sera amené à remplacer les médecins généralistes pour traiter les patients souffrant de diabète et d’autres maladies chroniques exigeant d’adapter son style de vie. Les infirmières sont particulièrement bien placées pour proposer ces soins, qui tiennent compte de la situation particulière de chaque personne, car elles sont depuis longtemps une personne à qui se confient les patients. Pour reprendre les mots de l’universitaire Brian Dolan :
Les gens mettent le médecin sur un piédestal, mais ils regardent l’infirmière droit dans les yeux.”
Dans les enquêtes sur la confiance qu’inspirent diverses professions, le personnel infirmier arrive systématiquement en première place.
Manque de reconnaissance
Florence Nightingale, si elle était amenée à voyager dans le temps jusqu’à aujourd’hui, serait en revanche déçue que la transformation de la profession soit émaillée d’inégalités. Dans des pays aussi différents que l’Inde, l’Allemagne et le Portugal, les infirmières sont généralement traitées comme les sous-fifres des médecins, et on ne les laisse même pas diagnostiquer des affections courantes ou prescrire des médicaments.
Et bien que les infirmières constituent près de la moitié du personnel médical dans le monde – et 90 % des contacts des patients avec les professionnels de santé –, elles ne sont souvent pas invitées à participer aux décisions stratégiques en matière de santé. Même l’Organisation mondiale de la santé n’avait pas d’infirmière administratrice en chef jusqu’en 2018.
Nightingale froncerait aussi les sourcils en apprenant que les soins infirmiers ayant perdu de leur superbe, il est difficile de recruter. Dans de nombreux pays, aucune autre profession ne recense autant de postes vacants. Ces dix prochaines années, la pénurie de personnel infirmier restera le plus grand problème affectant les systèmes de santé dans le monde. D’ici à 2030, il manquera à l’échelle internationale 7,6 millions d’infirmières, soit un tiers de leur effectif actuel.
Des campagnes de pub pour aider au recrutement
Pour inverser la tendance, des initiatives vont se multiplier afin de susciter des vocations et d’empêcher les infirmières formées de quitter la profession. Les pays veilleront à recruter leurs infirmières au niveau local, au lieu de les faire venir de l’étranger – souvent de pays pauvres où le système de santé est déjà handicapé par la pénurie de personnel infirmier.
Des campagnes médiatiques d’ampleur nationale viseront à mieux faire connaître le métier en tordant le cou aux conceptions dépassées de ses missions. Certains s’inspireront peut-être de la stratégie extrêmement efficace mise en œuvre à Singapour, où l’État a fait créer des séries dramatiques sur la profession, ainsi que des documentaires et même un “hymne” (sous la forme d’un clip entraînant). Tout le monde peut trouver son compte sur le profil Instagram de cette campagne, qui met même à l’honneur des amoureux qui se sont rencontrés à l’école.
L’intervention humaine malgré les machines
Encouragés par une campagne mondiale lancée en 2018, un plus grand nombre d’hôpitaux et d’autres employeurs lanceront des programmes de développement des compétences et de formation des cadres. Il y aura plus de débats – et, espérons-le, de mesures concrètes – permettant au personnel infirmier de mettre en pratique toutes ses compétences. Les nouvelles technologies seront également mises à contribution pour rendre le travail plus gérable et limiter l’épuisement professionnel. Des algorithmes seront notamment utilisés pour cartographier les chemins les plus efficaces durant les gardes hospitalières.
Parallèlement, à mesure que sont perfectionnés les systèmes de diagnostic et les robots chirurgicaux, les soins infirmiers seront peut-être le seul aspect des professions de santé où les machines ne remplaceront pas les humains. Même si le métier évolue sous l’influence des innovations scientifiques et technologiques depuis l’époque de Florence Nightingale, ses pouvoirs de guérison restent ancrés dans la compassion et l’intervention humaine.
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