Chaque être humain possède dans son génome environ six milliards de “briques d’ADN”. Il suffit qu’une seule de ces briques soit altérée pour causer des maladies terribles. On recense environ 10 000 maladies génétiques à ce jour. Si de telles anomalies génétiques sont rares, elles n’en concernent pas moins plusieurs dizaines de millions de personnes à travers le monde. Seules les maladies génétiques les plus courantes, comme la mucoviscidose, l’hémophilie et la drépanocytose retiennent l’attention des groupes pharmaceutiques. Les maladies très rares, comme celle dont souffre Lydia, ne les intéressent pas.

La thérapie antisens

La technique de l’ASO consiste à modifier le message envoyé par l’ADN. Lorsque l’anomalie génétique est connue, il est possible de synthétiser une molécule nucléotidique qui se fixera au message avec pour effet de désactiver le gène défectueux. Le premier médicament ASO approuvé par la FDA [l’agence de santé américaine] était le Fomivirsen, pour traiter la rétinite à cytomégalovirus, une infection oculaire, en 1998. Depuis, la technique a été reprise dans d’autres médicaments homologués par la FDA. Les molécules ASO peuvent être mises au point et synthétisées rapidement, ce qui réduit à quelques mois la durée de création des traitements.
C’est précisément ce que Timothy Yu, de l’hôpital pédiatrique de Boston, a fait en 2018 pour une fillette atteinte de la maladie de Batten – une maladie neurodégénérative rare et mortelle causée par l’accumulation de protéines et de lipides dans le cerveau. Moins d’un an après le diagnostic, Timothy Yu avait mis au point un traitement sur mesure pour intervenir sur la mutation génétique dont souffrait la fillette. Et le traitement en question semble obtenir d’excellents résultats.
Si la FDA oblige les groupes pharmaceutiques à tester au préalable leurs nouveaux médicaments sur un groupe de patients pendant plusieurs années, il semblerait qu’elle soit disposée à donner son imprimatur à ces traitements personnalisés, étant donné qu’il n’existe pas d’autre option et que les chances de rémission sont très limitées sans eux. Dans les essais cliniques, le nombre de patients est désigné par la lettre “N”, d’où le nom donné à ces médicaments personnalisés, [en anglais] “N-of-1”.

Cinq autres essais cliniques en cours

“On n’a pas besoin de plusieurs années, quelques mois suffisent”, se félicite Rohan Seth. En 2020, sur le site savelydia.com, on pourra ainsi suivre les progrès de la famille dans la mise au point du nouveau médicament et son administration à Lydia. La famille dit s’être fixée des objectifs “réalistes” : elle n’attend pas de guérison mais espère que ce médicament améliorera grandement sa qualité de vie.
Le nombre de médicaments personnalisés est appelé à s’étoffer en 2020. Au moins cinq autres essais cliniques seraient en cours. Au-delà du cas de sa fille, Rohan Seth pense aussi aux autres enfants. Dans le cadre de la mise au point du traitement, il a créé un site en accès libre – appelé le “Lydian Accelerator” – qui recensera et publiera toutes les données nécessaires à la création de médicaments personnalisés. La famille tente actuellement de réunir 2,2 millions d’euros mais espère que le coût des traitements “N-of-1” finira par être ramené à quelques centaines de milliers d’euros.
Cela fait beaucoup, mais rappelons qu’un des derniers traitements de thérapie génique en date, le Zolgensma de Novartis [qui s’administre en une prise unique], coûte la bagatelle de 1,9 million d’euros. À terme, une fois que les médicaments personnalisés se seront démocratisés et auront convaincu des mécènes et des fondations, la situation pourrait devenir paradoxale : les traitements personnalisés à la demande pourraient finir en effet par revenir beaucoup moins cher que les médicaments mis au point par l’industrie pharmaceutique pour traiter un grand nombre de patients. Ces nouveaux médicaments pourraient donc bien jeter un pavé dans la mare. [Comme le dit le proverbe,] la nécessité est mère de l’invention.