Publié le 21 mars 2019
Que « je » soit un autre n’est pas toujours une bonne nouvelle. Avec ses 180 kg, Roxane Gay, quoi qu’elle fasse, est quelqu’un que l’on regarde avant tout comme une femme obèse. Mais ce qu’elle donne à voir est un corps de fiction, un corps qui raconte des histoires, ou plutôt une histoire de rage et de peur vécue par l’autre Roxane, disparue il y a longtemps, à 12 ans, quand un groupe de garçons l’a violée.
Elle n’a rien dit. A la place, elle s’est mise à manger. De plus en plus. Dès qu’elle pouvait. « Je faisais croître mon corps, je le faisais exploser. » Ce corps nouveau sera sa « cage », mais aussi son armure, le lieu où elle sera à l’abri du désir des hommes.
Hunger raconte cette métamorphose, et la vie qu’elle engendre, et ce que l’une et l’autre révèlent des rapports entre les femmes et les hommes, dans un mélange de retour d’expérience et d’étude sarcastique de nos mœurs passablement sauvages.
« Le désir de maigrir est considéré comme un caractère par défaut de la féminité, soit ! Mais qu’est-ce que cela dit de notre culture ? », demande-t-elle avec une fausse candeur qui se révèle un instrument efficace de déconstruction du regard social sur le corps féminin, cette autre fiction, cette autre histoire que les hommes, et les femmes, se racontent. Une histoire dont Roxane Gay, avec son corps transformé, par force, en acte de subversion, a le terrible avantage de ne pouvoir être dupe. Florent Georgesco
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