Dans la salle de consommation à moindre risque de Paris,
le jour de son inauguration le 11 octobre 2016.
Photo Patrick Kovarik. AFP
Pour des habitants des quartiers de Stalingrad et La Chapelle, il faut changer de stratégie face à la consommation, à la fois pour mieux accompagner les usagers en souffrance et pour pacifier l'espace public.
Tribune. La consommation de crack est installée en Ile-de-France depuis le milieu des années 90 et rien n’indique qu’elle soit appelée à disparaître miraculeusement. Bien au contraire, tous les indicateurs récents alertent sur le fait qu’avec une cocaïne toujours plus disponible, le crack dont il est issu touche un nombre exponentiel de consommateurs, qu’ils soient insérés ou au contraire très marginalisés.
Dans les quartiers du Nord-Est parisien (1), ce sont bien de ces derniers dont il est question, des femmes et des hommes en situation de grande exclusion. Ils ne disposent pas d’espaces privés pour vivre, se retrouver, acheter et consommer cette drogue. Ils le font donc dans des lieux publics (couloirs du métro, bordures du périphérique, ruelles, jardins) ou les parties communes des immeubles d’habitation (halls, paliers, caves, parkings). Depuis vingt-cinq ans, la seule stratégie menée par les pouvoirs publics consiste à déplacer régulièrement les usagers et les dealers d’un lieu à l’autre dès qu’une nouvelle fronde des habitants menace d’éclater. Ce mode opératoire de la puissance publique est dommageable aux usagers de drogue, aux professionnels socio-sanitaires qui travaillent auprès d’eux mais également aux habitants qui voient revenir périodiquement ces scènes de consommation et de deal à ciel ouvert.
Dans le quartier de Stalingrad, lieu historique de la consommation de crack en France, la première scène de ce type s’est formée sur la place de la Rotonde en 1994-1995, la seconde au cours des années 2002-2005 devant une bibliothèque pour enfants de la rue de Tanger, la troisième depuis un peu plus d’un an, entre la place de la Rotonde et les jardins d’Eole (à une dizaine de mètres des jeux pour enfants). Dans le quartier de La Chapelle, pareilles situations sont advenues avec la même régularité tout au long de ces années.
Ces personnes en errance ont d’abord le besoin ou la volonté de se réunir (pour acheter, consommer et avoir des relations sociales). Et c’est justement ce qui pose le plus de problèmes aux habitants parce que ces regroupements, parfois importants, dans des lieux qui ne sont pas aménagés pour ça, génèrent des tensions, de l’incompréhension et de la peur. A l’inverse, en vingt-cinq ans, les seuls moments de véritable accalmie pour les habitants ont été ceux pendant lesquels les usagers eux-mêmes avaient ouvert des squats suffisamment grands pour accueillir un grand nombre de ces personnes, tant pour le deal que pour la consommation. Mais il va de soi qu’en de tels lieux, les conditions de vie, d’hygiène et de sécurité sont en deçà de tout ce qu’il est possible d’imaginer dans un pays développé du XXIe siècle.
De notre point de vue d’habitants qui les côtoyons depuis toutes ces années, l’équation semble donc étonnamment simple. S’il n’est pas possible de faire disparaître ces scènes, si le seul moyen d’apaiser nos quartiers est d’offrir un ou plusieurs lieux où il soit possible aux personnes qui sont prises dans l’usage du crack de se regrouper et si, enfin, il n’est acceptable pour personne qu’un tel lieu soit hors de contrôle, alors pourquoi ne pas dédier à l’accueil de ces personnes des espaces sécurisés et encadrés par des professionnels du soin ?
Il aura fallu des années pour que soit créé à Paris un espace d’accueil pour les usagers de drogues injectées, près de vingt ans après les expériences positives en Suisse, en Allemagne, aux Pays-Bas, en Espagne et en Belgique. L’ouverture de la salle de consommation à moindres risques a permis d’apaiser les tensions dans l’espace public et une meilleure prise en charge sanitaire et sociale des personnes qui la fréquentent. Mais cet espace n’est pas adapté à la consommation de drogues inhalées comme le crack ni à celles et ceux qui en consomment. Ne serait-il donc pas logique, raisonnable et, pour une fois, ambitieux, que la ville de Paris et l’Etat s’accordent pour créer enfin et très vite des espaces de consommation de crack pour accueillir ces hommes et ces femmes dans des conditions d’hygiène et sécurité satisfaisantes pour tout le monde ? Aujourd’hui, après vingt-cinq ans, nous vous demandons solennellement de prendre vos responsabilités et d’avancer. A la fois pour mieux accompagner ces personnes en souffrance et pour pacifier nos quartiers.
Premiers signataires :
Premiers signataires : Daniel Keller, Eric Labbé, Raphaële Mousset-Diamond, Richard Raymond, Jean-François Séguin.
(1) Principalement les XVIIIe et XIXe arrondissements ainsi que les villes de Saint-Denis et Aubervilliers.
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