Chez un patient sur huit qui convulse, il ne s’agit pas d’une véritable épilepsie. Ces crises sont souvent liées à un traumatisme ancien. Bien prises en charge, elles disparaissent huit fois sur dix.
Ils sont environ 150 000, en France, à souffrir de crises de convulsions d’un type particulier. Des crises d’épilepsie ? Cela y ressemble fort, mais ce n’en sont pas vraiment. Car l’examen de référence, ici, c’est l’électroencéphalographie (EEG) : on enregistre l’activité électrique du cerveau au cours d’une crise, filmée en vidéo. « Lors d’une vraie crise d’épilepsie, on voit des polypointes sur le tracé de l’EEG. Mais pas chez ces patients », indique la docteure Coraline Hingray, psychiatre au CHU de Nancy.
Le nom de cette affection intrigante ? Ce sont des « crises non épileptiques psychogènes », ou CNEP.
Comme dans l’épilepsie classique, elles peuvent blesser et surtout handicaper les patients, avec leur cortège de chutes brutales et de pertes de connaissance. Ensuite, ces convulsions font peur : les patients sont stigmatisés. Mais eux subissent une double peine : comme aucune lésion n’est détectée dans leur cerveau, on les accuse parfois – à tort – de jouer la comédie. « Une violence inouïe ». En sus, ils pâtissent souvent d’une longue errance diagnostique. « Ce sont des patients “ping-pong” : ils sont ballottés entre les services d’urgences, les neurologues et les psychiatres », se désole Coraline Hingray, qui a écrit Les crises non épileptiques psychogènes (LaRéponseDuPsy, « Savoir pour guérir », 2017).
Comme dans l’épilepsie classique, elles peuvent blesser et surtout handicaper les patients, avec leur cortège de chutes brutales et de pertes de connaissance. Ensuite, ces convulsions font peur : les patients sont stigmatisés. Mais eux subissent une double peine : comme aucune lésion n’est détectée dans leur cerveau, on les accuse parfois – à tort – de jouer la comédie. « Une violence inouïe ». En sus, ils pâtissent souvent d’une longue errance diagnostique. « Ce sont des patients “ping-pong” : ils sont ballottés entre les services d’urgences, les neurologues et les psychiatres », se désole Coraline Hingray, qui a écrit Les crises non épileptiques psychogènes (LaRéponseDuPsy, « Savoir pour guérir », 2017).
Le 21 février, un colloque intitulé « Epilepsies et émotions » était consacré à cette affection méconnue, à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière (AP-HP), à Paris. Car dans les CNEP comme dans les épilepsies classiques, les patients présentent un déficit de la reconnaissance et du traitement des émotions. On sait, aussi, que les émotions favorisent la survenue des crises. Lorsqu’on donne un chien à un enfant atteint d’épilepsie, par exemple, il fait moins de crises !
Le rôle des émotions
Les patients atteints de CNEP ont aussi du mal à parler de leurs émotions. « Les trois quarts ont subi des traumatismes, souvent des agressions physiques ou sexuelles », indique Coraline Hingray. Les trois quarts sont aussi des femmes. En France, il y aurait quelque 800 000 personnes atteintes d’épilepsie – dont environ 150 000 atteintes de CNEP.
Margaux (le prénom a été changé), 38 ans, a fait une première crise convulsive à l’âge de 22 ans. Native d’Algérie, elle s’y marie. Ses crises se poursuivent, au rythme d’environ quatre ou cinq par an. « Mon mari me battait, me violait, me faisait subir un harcèlement moral. » Il y a cinq ans, elle le quitte pour venir en France avec ses trois filles. Ses crises se font plus fréquentes : deux à quatre par mois. « Les pompiers, les infirmiers, les médecins restaient perplexes. » Après une longue errance médicale, elle est orientée vers le CHU de Nancy. En 2018, le diagnostic de CNEP est posé. « La docteure Hingray m’a appris à contrôler mon cerveau. Quand mon corps me prévient qu’une crise arrive, je me concentre sur mes cinq sens. Ça ne marche pas toujours, mais mes crises sont devenues moins fréquentes. » Cette ingénieure en construction navale a retrouvé un travail qui valorise ses compétences. Et apprend à se reconstruire. « On n’oublie jamais. Mais il faut essayer de surmonter ce vécu traumatique, de mettre de côté cette violence. Si je me bats tous les jours, c’est grâce à mes filles. »
Dans les CNEP, on observe une atteinte fonctionnelle du cerveau. On note ainsi une hyperconnectivité entre des aires impliquées dans les émotions, la mémoire et le contrôle moteur. Mais aussi une hyperactivation des zones émotionnelles, et une baisse de l’activation des zones qui contrôlent la conscience ou les membres. Mais il n’y a pas d’atteinte lésionnelle, au contraire de l’épilepsie classique. « C’est un bug dans le logiciel, non une atteinte des composants de l’ordinateur cérébral. »
« Grandes attaques hystériques »
Fait étonnant, les trois quarts des psychiatres français n’ont jamais été formés à cette question. Cette méconnaissance explique-t-elle les suspicions de simulation qui pèsent sur ces patients ? L’histoire médicale joue ici un rôle ambigu. Car les CNEP ont d’abord été identifiées sous le nom de « grandes attaques hystériques » par le neurologue français Jean-Martin Charcot (1825-1893). « Il a été le premier à reconnaître une cause neurologique fonctionnelle à ces “crises d’hystérie” – une terminologie qui n’a plus cours », note Coraline Hingray. Mais comme le suggère le film Augustine (Alice Winocour, 2012), les dernières patientes de Charcot ont parfois été des simulatrices, lors de ses fameuses « leçons du mardi » – des spectacles courus du Tout-Paris. Autre préjugé regrettable : « On associe souvent ces crises hystériques à des personnalités histrioniques, théâtrales, séductrices. Or ce n’est absolument pas le cas », insiste Coraline Hingray.
Pour ces patients, le diagnostic est une étape cruciale. « C’est plutôt une bonne nouvelle. Si l’annonce est bien faite, 30 % d’entre eux ne feront plus de crises. Et puis, ils n’auront pas besoin de médicaments antiépileptiques au long cours. » La plupart (80 %) ayant été inutilement mis sous traitement, ils pourront s’en affranchir.
Quelle prise en charge ? Un neuropsychiatre américain, W. Curt LaFrance, a mis au point une méthode très structurée – une dizaine de séances d’une heure. Adaptée au contexte français, elle est en cours de diffusion. Et des guides pratiques ont été traduits dont Guide du patient, Traiter les crises (non) épileptiques. Guide du thérapeute (PUFR, 2018). Il faut, d’abord, identifier « les 3P » : les facteurs prédisposant, précipitant et perpétuant les crises. Un agenda des crises est ici précieux. Parmi ces facteurs : des traumatismes anciens, des difficultés d’apprentissage… Et une épilepsie : « 20 % à 30 % des patients épileptiques font aussi des CNEP », note Coraline Hingray.
Apprendre à contrôler
Parmi les facteurs précipitant : stress et émotions, fatigue, bruit majeur… Et parmi les facteurs perpétuant : le sentiment d’imprédictibilité et de manque de contrôle des crises, l’anxiété anticipatrice, la stigmatisation, une comorbidité psychiatrique…
Ensuite, il faut apprendre au patient à prendre le contrôle sur ses propres crises. Ce, à l’aide de psychothérapies cognitivo-comportementales (TCC). « Aussi étonnant que cela puisse paraître, ces crises sont utiles. C’est comme la soupape d’une cocotte-minute : elles évitent une explosion. Le patient doit apprendre à gérer le feu ». En parallèle, il faut aussi l’aider à s’exposer au souvenir traumatique, pour qu’il puisse le mettre en mémoire.
Une crise de CNEP résulte d’une dissociation entre l’esprit et le corps. « Quand le patient va bien, il faut donc lui apprendre à se réassocier. Et à réagir dès les premiers signes annonciateurs d’une crise », explique Coraline Hingray. Plusieurs tactiques sont possibles. Le patient peut augmenter sa vigilance – en comptant à l’envers, par exemple. Ou faire des « exercices d’ancrage dans l’ici et le maintenant ». Comment ? En se montrant attentif à ses propres sensations : qu’est-ce que j’entends ? je vois ? je respire ? « L’entourage peut aussi l’aider. Par exemple, si on lui touche l’épaule lors d’une crise, et qu’on lui dit : “ma main est sur ton épaule”, on arrête parfois une crise », souligne le professeur Wissam El Hage, psychiatre au CHU de Tours. Autre technique utile : l’autohypnose. Relaxation, sophrologie, yoga… ne peuvent qu’être bénéfiques. La méditation pleine conscience et la stimulation transcrânienne (rTMS ou tDCS) sont aussi à l’étude, avec des résultats encourageants – mais préliminaires.
« Ce qui pourrit la vie de ces patients, c’est la peur de faire de nouvelles crises », relève Coraline Hingray. D’où leurs stratégies d’évitement. « Comment leur éviter d’éviter ? Leur permettre de vivre en dehors de leur identité de malade ? En leur apprenant à devenir expert de leurs propres crises. » Réjouissante nouvelle : huit patients sur dix parviendront à se débarrasser de leurs crises, s’ils sont bien pris en charge.
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