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Avec une nouvelle levée de fonds de 150 millions d’euros, la plateforme de prise de rendez-vous en ligne, et désormais de téléconsultation, se positionne comme un futur poids lourd de l’e-santé, secteur en pleine ébullition.
La plateforme de prise de rendez-vous médicaux en ligne et depuis peu de télémédecine Doctolib fait son entrée dans la cour des grands. En annonçant mercredi une nouvelle levée de fonds de 150 millions d’euros, elle rejoint le club très restreint des «licornes» françaises, ces start-up dépassant le milliard de dollars - ou d’euros - de valorisation financière. Un montant à la hauteur de la croissance fulgurante de cette jeune pousse de l’e-santé qui convertit à toute vitesse patients et professionnels à ses nouveaux usages. Et en dit surtout long sur l’espoir placé par les investisseurs dans la transformation numérique du système de santé.
Kyrielle
«Au-delà des chiffres, cet investissement indique le tournant qui s’amorce,résume Alexandre Templier, président du cabinet de conseil en innovation appliquée à la santé Quinten. Touchées à leur tour par le mouvement de dématérialisation, les pratiquesmédicales pourraient beaucoup changer. Ce à quoi l’on assiste aujourd’hui, sur fond d’arrivée de l’intelligence artificielle et de "dataification" de la médecine, n’est que le début d’une nouvelle ère.»
En comparaison, l’histoire de Doctolib, né fin 2013, il y a cinq ans à peine, se veut bien plus modeste et terre à terre.
Fondée par trois trentenaires ayant déjà roulé leur bosse dans le numérique (un diplômé d’HECet deux ingénieurs), la société se propose de mettre en relation patients et praticiens via une prise de rendez-vous en ligne. Gratuit pour les premiers, ce système promet l’obtention plus rapide d’un rendez-vous et de faciliter l’accès à l’offre de soins. Pour les seconds, c’est la possibilité de pouvoir se passer de secrétariat en le déportant à distance mais aussi de limiter le nombre de «lapins». Tout simplement parce que les patients reçoivent un SMS de rappel précisant la date et le lieu du rendez-vous avec la possibilité de l’annuler d’un seul clic. Une mise en relation dans laquelle Doctolib se rémunère par un abonnement mensuel fixe de 109 euros facturé en échange du service aux professionnels de santé. Pas question d’exploiter et de «monétiser» les données recueillies auprès des patients - une ligne rouge, assure la société.
Doctolib veille soigneusement à toujours mettre en avant les professionnels de santé dans son discours : «Nous sommes là pour les aider, pas pour les mettre en concurrence, explique le président de Doctolib, Stanislas Niox-Château. Notre mission est de rendre notre système de santé plus humain, efficace et connecté.». Reste que la société multiplie les levées de fonds et grossit à toute vitesse. Confronté à une kyrielle de concurrents plus anciens, Doctolib domine aujourd’hui de façon écrasante le marché français : la plateforme, dont sont déjà clients 15 % des praticiens français, soit 70 000 professionnels, enregistre chaque mois 30 millions de visites.
«Premium»
Deux événements lui ont permis de prendre une avance considérable. Il y a d’abord eu, à l’été 2016, un contrat signé avec l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) estimé à 1 million d’euros. Charge à Doctolib de déployer sa solution de réservation dans les 39 établissements de l’AP-HP représentant plus de quatre millions de consultations par an. A défaut d’avoir démultiplié les prises de rendez-vous en ligne (4 % contre 30 % visés chaque année), il a permis d’augmenter les rendez-vous honorés. Deuxième gros coup d’accélérateur pour Doctolib, le rachat de son principal challenger Mondocteur à l’été 2018, cédé par Lagardère après sa décision de mettre fin à sa diversification dans l’e-santé.
Devenu le premier service du secteur en Europe, Doctolib, également très présent en Allemagne, a progressivement étoffé son offre en permettant par exemple aux médecins de s’adresser des patients et de s’échanger des documents. Mais le plus gros changement est intervenu début janvier avec le lancement d’un nouveau service «premium» de téléconsultation médicale. Un acte remboursé par l’assurance maladie depuis septembre et appelé à se développer, particulièrement dans les déserts médicaux. Le gouvernement table sur 500 000 téléconsultations en 2019, 1 million en 2020 puis 1,3 million en 2021. Il s’agit d’un «prolongement naturel», explique-t-on chez Doctolib dont les deux tiers des praticiens sont installés hors d’Ile-de-France et qui assure prudemment que ce service «n’est pas une fin en soi».
Consumérisme
Critiqué par des médecins pour «parasitisme commercial» et attaqué par un concurrent qui a porté plainte après l’accord exclusif passé pour quatre ans avec l’AP-HP, Doctolib sait qu’il doit jouer sur du velours. D’autant plus dans un contexte où le Conseil de l’ordre des médecins s’est dit soucieux de combattre «toute tentative d’ubérisation» de la santé.
Il faut dire que les pratiques évoluent très vite : les médecins sont maintenant évalués et notés sur Google. De quoi nourrir la crainte d’un consumérisme médical. Un usage que ne permet pas Doctolib.«Nous nous refusons à publier les avis des patients, car nous pensons qu’on ne peut pas noter un médecin comme on note un restaurant»,affirmait récemment Julien Méraud, directeur de la stratégie de plateforme. Bien placé dans un secteur promis à un bel avenir, Doctolib sait qu’il joue gros. Pas question donc de jouer ouvertement les «disrupteurs» à la Uber, et de prendre le risque de brusquer les médecins. Ses seuls clients à ce jour.
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