J. VALLETEAU DE MOUILLAC,
Paris
On le sait, la structure familiale n’est pas identique dans toutes les civilisations. De la même façon qu’elle varie dans l’espace, la famille évolue dans les temps, comme le montre Jérôme Valleteau de Mouillac dans cet article où, à travers plus d’un demi-siècle de mutations, se dessine un profond remaniement de ses fondations.
Les mutations de la famille dans les années 1950
Avant les années 1950, la famille est dite « traditionnelle », nucléaire, constituée de deux parents et de nombreux enfants. Entre autres, une loi (du 31 juillet 1920) réprime la provocation à l’avortement et la propagande anticonceptionnelle : La contraception comme l’avortement, est assimilée à un crime. On se marie jeune et les divorces sont exceptionnels : seul le divorce pour faute est toléré (loi Naquet du 27 juillet 1884). La femme est mère au foyer et éleve les enfants. Le père est « nourricier », il est titulaire de l’autorité. C’est le chef de famille, il « porte la culotte ». Entre 1950 et 1980, le modèle familial évolue : la famille n’est plus uniquement biparentale. Les divorces sont plus courants et plus faciles, ce qui participe à l’augmentation des familles monoparentales. Les femmes commencent à travailler et à s’autonomiser. L’autorité paternelle est remise en cause. La loi du 13 juillet 1965 sur la réforme des régimes matrimoniaux rend effective la capacité juridique des femmes mariées. Le mari ne peut plus s’opposer à l’exercice par son épouse d’une profession séparée. La « puissance paternelle » disparaît pour consacrer l’autorité parentale conjointe (1972). La place des enfants dans les familles augmente mais leur nombre diminue : la natalité baisse avec un taux de fertilité (naissances par femme) de 2,89 en 1962, mais de 1,85 en 1980.
Les mœurs changent : sexualité prénuptiale, union libre préconjugale, naissance hors mariage (un tiers en 1972). Depuis 1980, on assiste à une véritable rupture : évolution, voire révolution.
• Le nombre des divorces et remariages devient identique au chiffre des mariages traditionnels (225 000 en 2014).
• On distingue ainsi trois modèles familiaux : la famille traditionnelle, la famille monoparentale et la famille recomposée.
• La « puissance paternelle » a disparu pour l’autorité parentale conjointe (1972) et la coparentalité est consacrée en 1993.
• Cependant, le taux de fertilité est remonté, il est de 1,99 en 2014.
La législation a ainsi progressé pour s’adapter à l’évolution des mœurs entre autres :
– le droit à la contraception (loi Neuwirth : 28 décembre 1967) ;
– l’abolition des règles discriminatoires entre enfants légitimes, naturels et adultérins (loi du 3 janvier 1972) ;
– la légalisation de l’interruption volontaire de grossesse (IVG) dans des conditions précises (loi Veil du 17 janvier 1975) ;
– de nombreuses lois sur le divorce et les gardes d’enfants ;
– le Pacs (Pacte civil de solidarité) est voté en 1999 (172 000 en 2014) et le mariage pour tous en mai 2013 (10 400 en 2014, soit 4 % des mariages, dont 45 % de Pacs dissous pour mariage).
C’est quoi alors une famille ?
Sa définition est devenue très difficile. Sur le plan juridique, on peut proposer qu’il s’agit d’un groupement de personnes reliées entre elles par un engagement de vie commune ou par filiation. L’engagement de vie commune, c’est le mariage ou le Pacs. La seule vie commune sans engagement, c’est-à-dire le concubinage, ne crée par juridiquement une famille. La filiation, quant à elle, est le lien juridique qui unit l’enfant à celui qui l’a fait, en cas de filiation par le sang, ou qui unit l’enfant à celui qui le reçoit, qui l’accueille comme s’il l’avait fait, c’est l’adoption. Cette définition de la famille conduit à distinguer deux types de liens familiaux que sont la parenté et l’alliance, et à identifier plusieurs modèles familiaux. La famille « historique » était orientée vers la reproduction de la vie, la transmission d’un patrimoine biologique, matériel et symbolique. C’était une institution normative. Classiquement, on distinguait les familles légitimes, naturelles (parenté hors mariage) ou adoptives. Aujourd’hui, on parle de familles verticales, horizontales, génétiques, non génétiques, conjugales (couple marié ou pacsé), monoparentales, recomposées, adoptives, mais aussi homoparentales, sans oublier les familles d’« accueil », etc. Pour l’Insee, qui a publié en 2015 un remarquable rapport « Couple et familles » (1), une famille c’est la partie d’un ménage comprenant :
– soit des personnes en couple
et leur(s) enfant(s) ou beau(x)- enfant(s) habitant dans la même résidence principale ;
– soit un parent vivant sans conjoint avec son ou ses enfant(s) : famille monoparentale. Pour qu’une personne soit enfant d’une famille, elle doit être célibataire et ne pas avoir de conjoint ou d’enfant faisant partie du même ménage : enfant mineur.
Répartition des familles selon leur type
En 2011, il y avait 7,8 millions de familles avec au moins un enfant mineur, soit 13,7 millions d’enfants mineurs avec 70 % de familles traditionnelles (1,8 enfant par famille en moyenne), 9 % de familles recomposées (2 enfants en moyenne par famille) et 20 % de familles monoparentales (1,6 enfant en moyenne par famille). Bien qu’elles restent dominantes, on observe un net recul des familles traditionnelles au profit des familles monoparentales (figures 1 et 2) liées à une séparation (79 %), d’une naissance hors couple (15 %) ou d’un décès (6 %), alors que ce chiffre était de 55 % en 1962. Cette situation concerne essentiellement les femmes et est plus ou moins transitoire. Certaines se remettent en couple mais de nouvelles apparaissent (265 000 en 2010), et ce chiffre ne cesse d’augmenter en touchant surtout les femmes les moins diplômées. Les hommes sont moins impliqués (15 % des familles monoparentales) souvent dans des gardes alternées après séparation : ils sont souvent diplômés et reconstituent plus vite un couple dans des familles recomposées.
Les enfants dans la famille
Soixante-et-onze pour cent des enfants mineurs (9,8 millions) vivent dans des familles traditionnelles en 2011, ils étaient 75 % en 1999. Elles restent cependant prépondérantes. Vingt-cinq pour cent des enfants mineurs, soit 3,4 millions, ne vivent pas avec leurs deux parents en 2011 :
– 2,5 millions (18 %)sont dans une famille monoparentale, en régle de petite taille ;
– 1,5 million (11 %) vivent en famille recomposée : deux tiers dans des familles composées d’enfants du couple et d’enfants nés d’union précédente (demifrère ou demi-sœur) et un tiers dans des familles dont le couple n’a pas eu d’enfant ensemble ;
– 7 % des enfants vivent donc avec un beau-parent qui est 8 fois sur 10 un beau-père. Ces familles sont de plus grande taille (2,2 enfants en moyenne) et sont souvent des familles nombreuses (définies par 3 enfants et plus) : 37 % des familles recomposées contre 16 % des familles monoparentales et 21 % des familles traditionnelles (figure 3).
Enfants mineurs et séparations
Le nombre de séparations de couples, qu’il s’agisse de divorce, de fin de Pacs ou d’union libre entre 1993 et 1999 étaient en moyenne de 155 000 par an dont la moitié (75 000) concernait des enfants mineurs. Entre 2009 et 2012, soit 15 ans plus tard, on atteint le chiffre de 235 000 par an, dont 115 000 (+ 30 %) avec enfants mineurs (32 % des couples mariés en 1992 avaient divorcé en 2012) (4). Parmi les enfants concernés, 75 % vivent chez leur mère, 8 % chez leur père et 17 % sont en garde alternée.
Enfants mineurs et familles homoparentales
Les chiffres sont différents selon leurs déclarants : pour l’INED (Institut national de démographie) en 2005, ils seraient de 25 à 40 000 chez 14 000 couples, alors que l’Association des parents et futurs parents gays et lesbiens (APGL) en déclare récemment (2013) 250 à 300 000. Huit couples homosexuels avec enfant mineur sur 10 sont féminins, 11 % des couples homosexuels masculins auraient des enfants mais seuls 1 % vivent avec. Dans ces familles, les parents sont souvent très diplômés et vivent dans les grands pôles urbains.
Enfants adoptés
Leur chiffre ne cesse de diminuer devant les difficultés de l’adoption internationale. Les familles sont en couple traditionnel dans 84 % des cas, 16 % sont des familles monoparentales (15 % féminin).
Enfants mineurs et pauvreté (1,2)
Le seuil de pauvreté est fixé à 60 % du niveau de vie médian, soit 1 679 € en 2016 et 977 € pour ce qui concerne 14 % de la population française*. Vingt pour cent d’enfants mineurs (2,7 millions) vivent dans un ménage pauvre et un tiers d’entre eux sont dans une famille monoparentale : ceci s’explique par la fragilité économique des parents isolés (1 seul revenu). En 2011, il y avait 40 % de taux de pauvreté dans ces familles monoparentales contre 14 % dans les familles traditionnelles. C’est une situation qui dure une grande partie de l’enfance, car les mères de familles monoparentales sont souvent les moins diplômées et vivent plus longtemps cette situation. La pauvreté touche aussi, mais en moindre proportion, les familles recomposées car il y a souvent plus d’enfants dans le foyer (18 %). Le nombre de personnes à charge influe considérablement sur le niveau de vie.
Au-delà des chiffres
• Ainsi, on assiste depuis plus de 50 ans à une évolution des structures familiales qui s’écartent peu à peu mais régulièrement des modèles traditionnels. Le couple marié avec un enfant n’est plus normatif. Les hommes et femmes ont des codes de genre moins marqués du fait, entre autres, de l’augmentation du travail des femmes et de l’implication de l’homme dans la sphère familiale, sans pour autant que cela soit forcément une contrainte.
• Une enquête réalisée entre 2005 et 2008(3), révèle que pour 80 % des personnes interrogées (surtout des jeunes actifs) la vie en union libre et le divorce sont passés dans les mœurs et les mentalités. La figure 5 montre les réponses à la question posée : Des parents peuvent-ils divorcer ? Et si 90 % des personnes interrogées évoquent l’importance du rôle des deux parents dans un foyer pour l’épanouissement de l’enfant mineur, 50 % d’entre eux pensent cependant que les femmes peuvent avoir et élever un enfant seul si c’est leur choix. La proportion de mères qui travaillent ne cesse d’augmenter mais 50 % d’entre elles pensent que les enfants en âge préscolaire peuvent en souffrir. De plus, 2 hommes et femmes sondés sur 3 pensent que les enfants peuvent souffrir des préoccupations ou des angoisses du père pour son travail.
La parentalité demeure
Mais on peut s’interroger sur les conséquences et les répercussions de cette évolution (… ou révolution sociétale) sur les enfants, que ce soit sur leur construction, leur développement et épanouissement, leurs repères, les représentations qu’ils auront, les modèles de genre et leur éducation. Les réponses sont toutefois difficiles à appréhender car tout reste affaire de cas particuliers.
• Quelle place garde la mère qui travaille qu’elle soit isolée ou en couple (elles sont 81,4 % avec deux enfants de plus de 3 ans en 2012), partagée entre satisfaction, obligation, parfois frustration et remord de ne pas s’occuper de leur enfant comme elle le souhaiterait ? Vingt-six pour cent des actifs en emploi trouvent difficile d’assumer leurs responsabilités familiales en raison du temps passé au travail en 2012 (17 % en 2007) (4) .
• Quel est le rôle du père entre le « nouveau père », le « papa poule » ou la « mère bis » ?
• Quelle place pour les beaux-parents (l’arrivée de conjoints différents peut aussi être un apport) et des grands-parents ?
• Quel impact de la pauvreté et de la précarité qui pèsent tant sur ces nouvelles familles ?
• Le pédiatre, le médecin de « famille » est bien sûr observateur de cette évolution mais aussi un acteur au centre de toutes ces problématiques.
• Il doit partager des convictions avec deux parents en accord ou en désaccord dans les familles traditionnelles ou recomposées ,mais avec une pensée unique dans une famille monoparentale.
• L ‘organisation des soins, vaccins, décisions thérapeutiques urgentes ou non, la prise en charge des maladies chroniques, des troubles du comportement, etc. et des conflits doivent tenir compte de toutes ces nouvelles données auxquelles s’ajoutent la précarité.
• Il doit surtout s’assurer que l’enfant vive dans un cadre structurant, personnalisant et aimant, quelle que soit sa famille. Était-ce mieux avant ?… On ne reviendra pas en arrière.
*Le niveau de vie est égal au revenu disponible du ménage divisé par le nombre d’unités de consommation (UC). Le niveau de vie est donc le même pour tous les individus d’un même ménage. Les unités de consommation sont généralement calculées selon l’échelle d’équivalence dite de l’OCDE modifiée qui attribue 1 UC au premier adulte du ménage, 0,5 UC aux autres personnes de 14 ans et plus, et 0,3 UC aux enfants de moins de 14 ans.
Références
1. Couples et familles. Insee, Édition 2015.
2. Eurostat - Données 2012 - © Observatoire des inégalités.
3. Enquête Erfi 2005-2008. Ined-Insee. In : Couple, famille, parentalité, travail des femmes. Insee Première 1339, mars 2011.
4. Chiffres clés de la famille. UNAF 2014.
2. Eurostat - Données 2012 - © Observatoire des inégalités.
3. Enquête Erfi 2005-2008. Ined-Insee. In : Couple, famille, parentalité, travail des femmes. Insee Première 1339, mars 2011.
4. Chiffres clés de la famille. UNAF 2014.
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