Le remplacement des agents partant en vacances cet été a été « divisé par deux », selon l’USAP-CGT. Les personnels soignants décrivent des situations « inhumaines ».
LE MONDE | | Par Audrey Paillasse
Confrontés à une hausse continue du nombre de patients, les personnels soignants des urgences de l’hôpital Lariboisière, dans le 10e arrondissement de Paris, sont à bout. Le 20 juillet, l’USAP-CGT, le premier syndicat de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) a publié un communiqué pour alerter sur une situation devenue « insoutenable », le remplacement des agents partant en vacances cet été ayant été « divisé par deux ».
Sous couvert d’anonymat, plusieurs salariés racontent au Monde la dégradation de leurs conditions de travail ces derniers mois, en raison, selon eux, d’un manque d’effectifs pour faire face à la hausse de la fréquentation. De 230 passages par jour en moyenne, le service – l’un des plus gros de France – s’est rapproché des 300 passages quotidiens, avec des pics à 340 le 21 juin pour la Fête de la musique, et le 16 juillet, juste après la victoire de la France en finale de la Coupe du monde de football.
Pour faire face à ce type d’événements, la direction assure que « des renforts de professionnels soignants aux urgences sont systématiquement prévus ». Plusieurs membres du personnel affirment pourtant que leurs effectifs n’ont pas été renforcés au cours de ces deux jours. « Le soir de la finale, nous n’avons pas pu faire les examens radio pour tout le monde, il a fallu faire des choix », raconte un manipulateur radio. « S’il y avait eu un attentat ce soir-là, on n’aurait jamais pu gérer », va jusqu’à dire, exaspéré, un jeune médecin.
Conséquence plus générale de la hausse de la fréquentation : le temps d’attente dans l’établissement se serait fortement accru. Il serait, certains jours, entre six et dix heures, sans qu’il soit possible de le réduire, ce qui génère de l’agressivité chez certains patients. « En moyenne, on est deux infirmiers et un aide-soignant pour chaque secteur de soins, y compris l’accueil, résume une jeune infirmière de jour. On n’a même plus le temps d’instaurer un dialogue, et d’expliquer aux gens les soins qu’on va leur faire. »
Situations à risques de plus en plus fréquentes
La frustration et l’agacement, chez les soignants comme chez les patients, détériorent inévitablement ce qu’elle considère être le pilier de son métier : le contact humain. « On est très stressés, il faut que ça avance, alors on passe pour des personnes peu aimables. » Même constat pour cette autre infirmière de 40 ans, en poste à Lariboisière depuis trois ans. « Je me retrouve à avoir un comportement qui ne me ressemble pas, confie-t-elle. L’autre jour encore, je me suis pris une énorme claque quand un patient m’a demandé pourquoi j’étais si agressive. »
Une chose est sûre : elles ne s’attendaient pas à devoir travailler dans ces
conditions. « C’est la désillusion totale, admet l’une d’elle. Je fais mal mon boulot, et je ne m’épanouis pas. Je me dis souvent que je ne vais pas faire ça toute ma vie. »
Plusieurs soignants décrivent également des situations à risques de plus en plus fréquentes, selon eux, pour les patients. Une infirmière relate, par exemple, une scène, au cours de laquelle un patient aurait fait un infarctus en salle d’attente, après avoir attendu plus d’une demi-heure pour accéder à l’espace de soins. « Il aurait vraiment pu mourir », s’indigne-t-elle.
Le manque de places au sein des différents secteurs de soins (où sont dirigés les patients après avoir été vus par une « infirmière de triage ») génère aussi régulièrement des situations de détresse pour les plus fragiles. « Quand j’arrive à 21 h 30, les treize brancards dont on dispose sont presque tous occupés, raconte une aide-soignante de nuit. On se retrouve donc à devoir faire attendre des personnes âgées de 80 ou 90 ans dans la salle avec tout le monde, pliées en deux sur leur chaise. C’est juste inhumain. »
« On veut juste être renforcés dans nos équipes »
Derrière ce sombre tableau, tous s’accordent à dire que c’est dans l’entraide et la bonne ambiance au sein des équipes qu’ils trouvent la motivation de se lever chaque jour pour venir aux urgences. Mais certains craignent que la situation n’empire dans les années à venir, une fois que l’hôpital Bichat, situé dans le 18earrondissement, aura été transféré à Saint-Ouen, de l’autre côté du périphérique.
Depuis le début de l’été, plusieurs réunions ont eu lieu entre le personnel et la direction, dont un comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail extraordinaire le 25 juillet, réclamé par la CGT. « On ne demande pas plus de vacances, ni d’augmentation de salaire, précise une infirmière. On veut juste être renforcés dans nos équipes, pour travailler en sécurité, et assurer celle des patients. »
Dans l’idéal, le personnel souhaiterait « vingt infirmiers, vingt aides-soignants et dix médecins supplémentaires ». L’assurance aussi que « toutes les absences soient remplacées ». De son côté, la direction s’est engagée à « sécuriser les renforts humains (jour et nuit) pour les pics d’activité prévisibles » et à « sécuriser les remplacements des absences longues des agents ».
La direction assure qu’elle « remplace systématiquement et sans délai l’ensemble des départs des agents des urgences » et que« tous les postes sont aujourd’hui pourvus ». Une session de travail doit se tenir le 9 août avec les différents acteurs. Après avoir été sollicités par le Monde, des membres de la direction se sont rendus aux urgences de Lariboisière pour observer la situation, et discuter avec le personnel. Mais la direction du service n’a pas souhaité répondre à nos questions.
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