Des médecins intérimaires boycottent les établissements qui appliquent un décret de janvier plafonnant leurs rémunérations.
C’est une conséquence directe de la pénurie de médecins dans les hôpitaux publics. Ces dernières semaines, plusieurs établissements de soins ont été contraints de fermer ponctuellement des services, faute d’anesthésiste-réanimateur ou de médecin urgentiste pour en assurer le bon fonctionnement. Des fermetures dues au « boycott » lancé par des médecins intérimaires pour protester contre l’application du décret plafonnant depuis le 1er janvier leur rémunération à 1 404,05 euros brut la garde de 24 heures, soit un peu moins de 65 euros brut de l’heure.
Or, ces médecins remplaçants – souvent qualifiés de « mercenaires » – sont devenus au fil des ans indispensables à l’hôpital public : « 25 % à 30 % des postes hospitaliers sont vacants, et jusqu’à 90 % dans certaines disciplines et certains établissements », estime Jacques Trévidic, le président d’Action praticiens hôpital (APH), qui qualifie l’intérim de « cancer » de l’hôpital. « Les intérimaires font tourner la boutique pour obtenir des actes, mais ils ne sont pas investis dans la vie intra-hospitalière ou dans la prise en charge collégiale de patients lourds », abonde Anne Geffroy-Wernet, la vice-présidente du SNPHAR-e, le syndicat des anesthésistes-réanimateurs.
Conséquence du rapport de forces engagé par les intérimaires, via notamment la publication d’une « liste noire » des hôpitaux appliquant le décret : les situations de fermetures provisoires apparues ce printemps, encore rares pour le moment, pourraient se multiplier d’ici à l’été. A Bourges par exemple, entre le 10 et le 17 mai, l’hôpital a dû fermer à quatre reprises sa ligne de service mobile d’urgence et de réanimation (SMUR), n’ayant pas réussi à trouver un médecin urgentiste pour monter dans ce véhicule destiné à traiter des urgences vitales, renvoyant les demandes sur les hôpitaux voisins. « Une situation sans précédent », reconnaît la direction de cet établissement, qui compte huit urgentistes titulaires et cherche à en recruter seize autres de façon pérenne.
Une situation « très tendue »
A Dole (Jura), l’hôpital a dû suspendre en mars quelques jours son unité de surveillance continue, qui accueille notamment des patients atteints de détresse respiratoire, faute, là aussi, d’avoir pu recruter un anesthésiste-réanimateur, pour lequel il déboursait jusque-là 1 550 à 1 600 euros brut la garde de 24 heures. « On a finalement limité la casse et trouvé un terrain d’entente avec ceux qui venaient régulièrement chez nous, explique Emmanuel Luigi, le directeur. On leur a démontré qu’on était un peu coincés de tous côtés, et ils ont accepté de revenir en 2018. Mais il y a une vraie incertitude pour les années suivantes. »
A l’hôpital de Cherbourg, Maxime Morin, le directeur, reconnaît être « inquiet » pour cet été. « Il y a deux semaines en août où nous n’avons pas les moyens anesthésiques de maintenir les blocs de chirurgie programmée, dit-il. On est dans une situation très tendue. » En août 2015, il avait déjà été obligé de fermer les urgences de Valognes, l’hôpital satellite situé à une vingtaine de kilomètres, n’ayant pas réussi à embaucher d’urgentistes pour cette structure à une époque de l’année où ils sont particulièrement demandés.
Coincés entre la nécessité d’assurer la continuité des soins, l’obligation d’appliquer la loi et l’impossibilité matérielle de trouver des médecins, certains directeurs ont fait le choix de repousser l’application du décret. « Cela aurait un effet sismique chez moi », confie sous le couvert de l’anonymat le directeur de plusieurs hôpitaux en zone rurale. Dans ce type d’établissements, il arrive que des services entiers fonctionnent uniquement avec des médecins « mercenaires » payés 14 000 euros par mois pour quatorze jours de travail. « Ça me coûte les yeux de la tête d’avoir dû internaliser ces intérimaires, témoigne un directeur. L’agence régionale de santé sait que c’est intenable. »
Du côté des pouvoirs publics, on dit suivre avec attention ce bras de fer entre hôpitaux et intérimaires. « Etouffer des établissements appliquant la réglementation est inacceptable du point de vue des principes républicains », assure-t-on à la direction générale de l’offre de soins (DGOS) au ministère de la santé, où l’on se dit « choqué sur le plan de la symbolique et des valeurs » par l’existence d’une « liste noire ».
« Pas plus chers que les titulaires »
Fin mars, les agences régionales de santé ont envoyé un courrier aux directeurs d’hôpitaux pour dénoncer « certaines exigences, parfois démesurées, de la part de médecins dans un contexte délicat de recrutement », assimilant même ces exigences à une « forme de chantage ». « Même si c’est compliqué, nous faisons tout pour tenir bon », fait-on valoir à la Fédération hospitalière de France (FHF), le lobby des hôpitaux publics.
Directeurs d’hôpitaux, autorités sanitaires et syndicats de médecins hospitaliers titulaires s’étaient en effet tous prononcés en faveur de ce plafonnement, qui doit encore être abaissé ces deux prochaines années de manière à atteindre 1 170,04 euros brut la garde de 24 heures en 2020. Avant ce texte, témoignent plusieurs acteurs du monde hospitalier, une véritable surenchère pouvait avoir lieu entre établissements, les prix flambant jusqu’à 3 000 euros les 24 heures à Noël ou au 15 août. « On était arrivé au bout d’une situation, les rémunérations n’avaient plus de limite, et des établissements allaient dans le mur, ce n’était pas viable », juge Thierry Gamond-Rius, directeur de l’hôpital de Lorient et président de la Conférence des directeurs de centre hospitalier.
Les intérimaires et remplaçants, eux, tentent de faire entendre leur version, lassés d’être « ostracisés » et caricaturés en « mercenaires » dénués d’éthique. « Nous ne sommes pas des gens mercantiles, assure Christine Dautheribes, la secrétaire générale du tout jeune Syndicat national des médecins remplaçants des hôpitaux (MRHP). Nous ne sommes pas plus chers que les titulaires, notre salaire tout confondu est équivalent à celui d’un praticien hospitalier au dixième échelon, soit aux deux tiers de sa carrière. Et nous avons un travail précaire, pas de congés payés, pas de congés formation… »
Interrogée sur les conséquences d’une « liste noire » des hôpitaux appliquant le décret, l’anesthésiste assure : « On ne cherche pas à créer des difficultés à qui que ce soit, mais si on me propose deux remplacements dans des hôpitaux équivalents, je prends celui qui me paiera le mieux… »
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire