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vendredi 13 avril 2018

« Je ne me laisserai pas faire » : attaquée devant l'Ordre par des employeurs, une médecin du travail se défend

Marie Foult
| 11.04.2018


Ce mercredi matin, le Dr Karine Djemil, médecin du travail, et une trentaine de membres d'associations de santé au travail, dont le Dr Dominique Huez, se pressaient devant le siège du conseil national de l'Ordre des médecins. Ce médecin du travail en Seine-Saint-Denis était entendue en appel devant la chambre disciplinaire nationale pour avoir fait le lien entre l'état de santé dégradé de deux salariées (jusqu'à l'inaptitude) et leurs conditions de travail – en l'occurrence des faits présumés de harcèlement sexuel et moral.
Condamnée en première instance, en juillet 2016, à six mois d'interdiction d'exercice et 1 500 euros d'amende, le Dr Djemil, 53 ans, a fait appel. Face à elle, deux employeurs, la société de transport Robert Muller et l'entreprise de conseil 155 Malesherbes, qui ont joint leurs plaintes. Tous deux reprochent au médecin du travail d'avoir communiqué les études de postes avec la mention de harcèlement aux salariées – qui les ont produites devant les prud'hommes.

SMS et gestes déplacés
Réunis ce mercredi dans la grande salle du conseil de l'institution ordinale, l'un des quatre assesseurs (tous conseillers ordinaux), en robe rouge bordée de noir, égrène les faits. En 2013, une première salariée de la société Robert Muller est déclarée inapte au travail deux fois de suite par le Dr Karine Djemil, après étude de son poste de travail. Dans la fiche qu'elle rédige, le Dr Djemil fait état de dérapages d'ordre sexuel et notamment de tentatives d'embrasser, de toucher les fesses, les seins. Licenciée peu après, la salariée attaque l'employeur aux prud'hommes pour harcèlement moral et sexuel, et produit devant le tribunal l'étude de poste du Dr Djemil.
Le scénario se répète pour la seconde salariée, de l'entreprise 155 Malesherbes. Après avoir constaté une promiscuité imposée par l'employeur, des avances répétées malgré plusieurs refus, mais aussi des SMS à connotation sexuelle, le Dr Djemil transmet l'étude de poste, là encore utilisée devant les prud'hommes.
Les deux employeurs portent plainte devant l'Ordre (le conseil départemental s'associant à l'une d'elles). Ils reprochent chacun au médecin du travail une étude de poste « avantageuse » pour la salariée, « des accusations hasardeuses », ou encore de s'être lancée dans « une croisade » à leur encontre, en établissant le lien entre la pathologie du patient et son travail.
Expertise psychiatrique
Devant la chambre nationale disciplinaire, Me Jean-Louis Macouillard, l'avocat du Dr Djemil, dénonce « un acharnement »« Vous ne pouvez pas faire autre chose que d'annuler le jugement de première instance », plaide-t-il. Il fait valoir qu'en première instance le président de la chambre a « violé le secret du délibéré » en demandant à l'Ordre départemental une expertise psychiatrique du Dr Djemil. « Comme par hasard, une femme, médecin du travail, dénonce des faits de harcèlement sexuel et on demande une expertise pour vérifier qu'elle n'est pas folle ! », poursuit Me Macouillard.
L'avocat fustige surtout une sanction trop élevée à ses yeux pour de tels faits, alors que dans des affaires similaires, les médecins ont été condamnés à de simples blâmes. « C'est le seul intérêt de ses patientes qui a animé le Dr Djemil », conclut-il. « Leur seule motivation est de la faire condamner car elle a mentionné des conditions de travail délétères », assure de son côté le Dr Jean-Michel Sterdyniak, du Syndicat national des professionnels de la santé au travail (SNPST), venu témoigner pour la défense.
Décision dans deux mois
L'avocat de la société 155 Malesherbes estime de son côté que communiquer des documents relevant du secret médical et faisant le lien entre la santé et le travail « est une violation du code de santé publique, et pas une simple maladresse ». Il réclame que la sanction de première instance soit maintenue. La décision de la chambre disciplinaire a été mise en délibéré.
« Je ne me laisserai pas faire, il en est hors de question ! », lâche le Dr Karine Djemil à la sortie de l'audience. Selon elle, les faits décrits dans ces fiches de poste sont issus de plusieurs années de suivi des salariées, avec des témoignages concordants. « Oui j'ai transmis ces documents ! Mais mettez-vous à la place de ces salariées, en tant que femme », a suggéré le Dr Karine Djemil à la présidente de la chambre Anne-Françoise Roul. Réponse dans six à huit semaines.

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