A Paris, le 29 mars. Photo Jérôme Bonnet
La ministre des Solidarités et de la Santé, s’insurge contre le «discours catastrophiste» sur les établissements hospitaliers mais relève un «dysfonctionnement». Un numéro d’équilibriste avant l’annonce, en mai, d’un plan de réformes «conséquent».
Cela va faire bientôt un an qu’elle occupe un vaste poste gouvernemental, de surcroît très exposé. Au début, Agnès Buzyn, plutôt habituée à une relative discrétion, a pu paraître un peu gauche. Aujourd’hui, elle le dit facilement, elle est ravie d’être à la tête du ministère des Solidarités et de la Santé. «Quand même, quelle chance j’ai de pouvoir faire bouger les choses», lâche-t-elle avant de partir à une réunion à l’Elysée sur l’intelligence artificielle, puis revenir avenue de Ségur pour faire le point sur les retraites, avant de rencontrer les différents responsables des missions qu’elle a nommés sur la réforme de l’hôpital… Elle est à l’aise et appréciée par le milieu. «Attention au syndrome de la première de la classe», tempère un médecin hospitalier. «L’hôpital, c’est un monde que je connais très bien, j’y ai passé plus de trente ans», a-t-elle l’habitude de dire. Certes, mais aujourd’hui, entre la couverture de l’Express et le livre Hôpitaux en détresse, patients en danger écrit par deux médecins universitaires, Philippe Halimi et Christian Marescaux (1), sans oublier l’arrivée agitée d’Emmanuel Macron, jeudi, au centre hospitalier de Rouen, on évoque de tous côtés une marmite hospitalière à deux doigts d’exploser. Mais est-ce si sûr ? Le mal est-il général ?«Attendez, arrêtons d’exagérer, corrige Alain-Michel Ceretti, qui préside aujourd’hui France Assos Santé. En France, on est bien soigné. Et, contrairement à bien d’autres pays, on est aussi bien soigné dans le privé que dans le public. Bien sûr, il y a des services qui dysfonctionnent, mais aujourd’hui ce sont des cas particuliers et nous ne sommes pas confrontés à des dysfonctionnements structurels.» Des propos qui confortent Agnès Buzyn. La ministre se dit confiante et s’insurge contre le dénigrement actuel de l’hôpital. Et rappelle que le gouvernement annoncera en mai «un plan conséquent».
En décembre, dans Libération, vous avez dit à propos de l’hôpital : «Le système est à bout de souffle.»Après ce constat alarmant, vous semblez faire le dos rond…
Absolument pas ! Si j’ai accepté ce poste de ministre, c’est notamment parce que, connaissant bien notre système de santé et l’hôpital, je souhaitais faire bouger les lignes. J’ai ouvert avec le Premier ministre un vaste projet de transformation du système de santé. Je vois bien que le problème n’est pas l’hôpital pris isolément et je ne veux pas faire une énième reforme qui ne traiterait en fait qu’un bout du sujet. L’hôpital s’inscrit dans un environnement. Et cet environnement dysfonctionne aussi. Les chantiers de transformation nous projettent à court et moyen terme.
Il faut traiter de l’organisation du système de santé sur les territoires, car la capacité de la médecine de ville à prendre en charge un certain nombre de patients, en particulier à s’occuper des soins non programmés, a une influence directe sur l’hôpital. Aujourd’hui encore, il y a un afflux invraisemblable aux urgences de patients qui n’ont rien à y faire. Au moins 30 % d’entre eux pourraient être pris en charge par la médecine de ville. Une partie du sujet est là : comment la médecine de ville doit-elle prendre sa place et toute sa place ?
On dit cela depuis des années…
Il y a des secteurs hospitaliers qui sont en surchauffe comme les urgences, mais il y a aussi des services en sous-activité. Regardez en hépatologie, on soigne et on guérit des hépatites avec des médicaments sans hospitaliser les malades ; il y a donc des lits qui devraient basculer. Il faut s’organiser différemment. En plus, avec le passage de la chirurgie vers l’ambulatoire - 70 % au moins de tous les actes chirurgicaux -, on aura moins besoin de lits. Voilà. Chaque hôpital doit se poser la question de ce changement et de sa réorganisation. Avec, en particulier, la nécessité qu’il y ait des «lits d’aval» pour accueillir les patients qui ont besoin d’être hospitalisés. Et un problème complexe s’ajoute : l’attractivité des carrières. Un groupe de travail doit nous remettre des propositions pour faire bouger les lignes aussi en matière de ressources humaines, afin de proposer des perspectives de carrière plus variées, plus ouvertes au sein de l’hôpital.
Comment rendre productifs tous ces chantiers ?
J’en ai assez du discours catastrophiste sur l’hôpital. Nos hôpitaux publics font un travail remarquable. Oui, il y a des lieux qui dysfonctionnent, 10 % à 14 % des services d’urgences sont en surchauffe, mais pas tous, loin s’en faut. Partout ou presque, ce sont des lieux de soin de qualité et même des centres d’excellence. Il faut mieux les positionner et jouer la complémentarité entre les hôpitaux plutôt que la compétition. Je veux à la fois maintenir des hôpitaux de proximité (ceux qui traitent la plupart des malades) et des hôpitaux qui vont accueillir et traiter les maladies complexes, qui demandent des plateaux techniques et des compétences spécifiques. Les uns sont complémentaires des autres.
Faut-il continuer à réduire le nombre de lits ?
Ce n’est pas un bon critère. Nous avons besoin d’hôpitaux flexibles. En cas d’épidémie, il faut que l’établissement soit en capacité d’ouvrir rapidement 20 lits. Ou en période estivale, dans les hôpitaux situés dans des régions touristiques où affluent les vacanciers. Nous avons besoin d’hôpitaux agiles. C’est à ça que je veux parvenir.
Quel levier utiliser ?
Les communautés médicales doivent être impliquées dans la gestion des lits hospitaliers. Tout ne doit pas venir du ministère ou du directeur. Les professionnels de santé le savent, on a besoin d’hôpitaux mieux recentrés sur leurs activités fondamentales. Il faut les impliquer. En même temps, nous devons faire face à un déficit de médecins. Nous perdons 10 % de temps médical, chaque année à l’hôpital. Ce n’est pas lié au nombre de praticiens, mais au fait que des médecins diminuent leur temps de travail ou changent leur activité. Là aussi, il faut compenser par des réorganisations beaucoup plus agiles et coordonnées.
Mais pourquoi ce sentiment de malaise général s’aggrave-t-il ?
La tarification à l’activité (T2A) [une méthode de financement des établissements de santé mise en place à partir de 2004 dans le cadre du plan «Hôpital 2007», ndlr] a été un des éléments dont les effets se sont révélés les plus négatifs. Les hôpitaux ont été obligés de se mettre en compétition avec d’autres acteurs sur des activités rentables. Or, le cœur de l’activité d’un hôpital, ce n’est pas ça. Aujourd’hui, des hôpitaux veulent siphonner l’activité de leurs voisins, c’est absurde et ce n’est pas sain.
Que proposez-vous ? Le recours à un budget global ?
Non. Les travaux sur le changement de modèle de tarification vont nous conduire à nuancer justement le poids de la T2A. Notre objectif est de proposer des modes de financement qui permettent de prendre en considération le parcours du patient, l’efficacité des soins qu’il a reçus, la coordination entre professionnels de santé, la qualité des hôpitaux, la prévention. Le budget global n’oriente vers rien. L’intérêt d’une tarification par activité, c’est que l’on peut faire des choix. Il faut arrêter de surcoter certaines activités pour mieux en payer d’autres. On peut imaginer de prendre en compte le temps d’attente aux urgences. On peut aussi valoriser et mieux rétribuer les coopérations entre hôpitaux, mais aussi avec le secteur privé.
Aujourd’hui, on ne sait pas valoriser la coordination. La tarification doit favoriser les bonnes pratiques, donc les parcours de soins coordonnés. Il faut enfin valoriser la pertinence des soins, c’est-à-dire ceux qui travaillent bien. La Haute Autorité de santé doit aller beaucoup plus vers la pertinence des pratiques médicales.
L’hôpital a-t-il besoin d’un big-bang ?
Encore une fois : beaucoup d’hôpitaux fonctionnent très bien, sans déficit, avec une très bonne ambiance de travail. Je vous rappelle que 64 services d’urgences sont en surchauffe sur 650, soit 10 %. C’est beaucoup, mais ce n’est que 10 %. Je ne veux pas faire une réforme pour faire une réforme. C’est le système qui arrive au bout, c’est l’hôpital, la médecine de ville et le parcours qui ne vont pas bien… Pour dégager du temps médical, il faut aussi que le médecin généraliste se recentre sur son travail et délègue plus de tâches comme on commence à le faire avec la vaccination en pharmacie.
Faut-il donner une place plus importante aux patients ?
Il faut les impliquer beaucoup plus sur la pertinence, sur la qualité des services rendus, des soins reçus. On a besoin de leur regard, de leur expertise. Ma vision de la démocratie sanitaire ne consiste pas à placer un représentant des patients dans les conseils d’administration. Ce modèle a montré ses limites. Mieux vaut s’appuyer sur eux pour recueillir leur accord sur les parcours de soins en milieu hospitalier mais aussi dans la médecine de ville.
Vous perdez beaucoup d’arbitrages avec Bercy.
C’est inexact. Avec Gérald Darmanin, le ministre de l’Action et des Comptes publics, nous travaillons très bien. Jamais un gouvernement n’a été aussi solidaire, je n’ai jamais eu à demander un arbitrage à Matignon.
Finalement, en dépit de l’air du temps, on vous sent confiante.
L’hôpital est toujours au rendez-vous. Quand cela va mal, il est là. Regardez pour les attentats. Je veux mieux valoriser le travail de grande qualité qui est fait dans les hôpitaux, le service rendu aux malades est très bon, même s’il y a des difficultés. Notre travail de transformation a aussi pour objectif de redonner de l’espoir et des perspectives.
(1) Flammarion
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