L'hôpital devra certainement opérer un changement d'idées et de pratiques quant au sexisme et au harcèlement qui y sévit au quotidien. Les langues se délient désormais pour dénoncer un humour carabin dépassé et qui peut être lourd de conséquences. Enquête chiffrée, projet de loi, invitation à porter plainte... les actions se multiplient.
La parole s'est quelque peu libérée sur la question du harcèlement sexuel. Depuis fin 2016 notamment, du fait du lancement du Tumblr Paye ta blousepar une étudiante en médecine, pour dénoncer l'omniprésence du sexisme à l'hôpital. Mais avec l'affaire Harvey Weinstein, producteur américain visé par une série d'accusations d'agressions sexuelles, c'est la bousculade en ce début d'automne. La ministre des Solidarités et de la Santé Agnès Buzyn, elle-même, médecin de profession, dans un entretien publié le 22 octobre dans le Journal du dimanche, a dénoncé l'attitude de certains praticiens. "Comme beaucoup de femmes, j'ai eu affaire à des comportements très déplacés dans mon milieu professionnel", a-t-elle déclaré à nos confrères. Cette affaire, a-t-elle ajouté, "fait prendre conscience qu'une lutte quotidienne se joue dans l'espace public et professionnel".
"50% des étudiants en médecine sont confrontés personnellement à des propos sexistes pendant leurs études."Extrait de notre interview de Valérie Auslender, parue en avril dernier à l'occasion de la sortie de son ouvrage Omerta à l'hôpital (éditions Michalon)
Des témoins passifs en grande majorité
L'Intersyndicat national des internes (Isni), dans un communiqué ce 27 octobre, se réjouit de cette libération de la parole des femmes ces derniers jours mais déplore par ailleurs que "les témoins des violences et du harcèlement sexuels restent passifs dans la grande majorité des cas". "La lutte contre toutes les formes de sexisme doit être un combat collectif et quotidien", insiste-t-il. Le syndicat rappelle s'être engagé depuis plus d'un an dans cette voie en créant un poste de vice-président en charge du droit des femmes. Alizée Porto, qui tient ce rôle, organise d'ailleurs actuellement "une stratégie avec un plan d'action". Elle s'appuiera sur les résultats d'une grande enquête nationale, la première sur le sujet, lancée début septembre (lire notre article) et dont le recueil s'est arrêté ce 23 octobre. Les résultats seront présentés, accompagnées de propositions d'actions, le 18 novembre à l'occasion de l'université de rentrée du syndicat à Montpellier (Hérault). "Nous maintenons notre programme de travail. Ce n'est pas parce que certains commencent à en parler que nous devons bâcler un travail unique que personne avant nous n'a eu le courage de faire [...]. Il nous faut un état des lieux solide pour pouvoir proposer des mesures concrètes", insiste Olivier Le Pennetier, président de l'Isni, auprès d'Hospimedia.
Décalage entre discours officiel et pratiques réelles
L'association Jean-Louis Mégnien qui œuvre contre la maltraitance et le harcèlement au sein de l'hôpital public regrette, dans un communiqué ce 27 octobre, "le décalage entre un discours officiel qui se donne les apparences de la rigueur et de la vertu, et, dans la réalité, des pratiques visant à protéger les harceleurs". Elle rappelle que les décisions de justice mettent en cause principalement des responsables médicaux comme auteurs du harcèlement mais pointent aussi des responsabilités administratives. Pour elle, il est temps aussi de remettre en cause les "pratiques managériales pathogènes".L'ordre des médecins encourage à porter plainte
Le Conseil national de l'ordre des médecins (Cnom) a lui aussi diffusé ce 27 octobre un communiqué, dans lequel il encourage les victimes à porter plainte devant ses instances. Dénonçant "sans réserve" tout harcèlement sexuel dans le milieu et condamnant ses agissements, le Cnom rappelle que "l'institution est en capacité d'entendre les victimes de harcèlement sexuel et d'en sanctionner les auteurs dès lors qu'ils sont inscrits à l'ordre des médecins". Il encourage de fait les victimes "à porter plainte devant les conseils départementaux de l'ordre des médecins habilités à les transmettre et/ou porter plainte elles-mêmes devant les chambres disciplinaires ordinales afin que ces abus soient dévoilés et sanctionnés". Il rappelle que les juridictions disciplinaires sont présidées en première instance par un magistrat des tribunaux administratifs ou, en appel, par un conseiller d'État, et qu'elles mènent une instruction pour toute plainte reçue.
Le Gouvernement prépare quant à lui, pour 2018, un projet de loi sur les violences sexuelles et sexistes, dont la verbalisation du harcèlement est un volet médiatisé.
Trois tweets révélateurs des divergences de vues
Une femme qui réagit à un propos sexiste n'est jamais prise au sérieux, a déploré la ministre des Affaires sociales et de la Santé Agnès Buzyn, qui a invité par ailleurs les hommes à batailler aux côtés des femmes dans ce combat.Pour Martin Hirsch, directeur général de l'Assistance publique-hôpitaux de Paris, l'hôpital est effectivement un milieu "vulnérable entre le stress, les enjeux de pouvoirs et les traditions, qui font que [...] les acteurs ont toujours eu du mal à faire la frontière entre la plaisanterie lourdingue et le harcèlement".
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