Dans une tribune au « Monde », le psychanalyste André Ciavaldini explique que la pulsion sexuelle chez l’être humain ne connaît pas de limites. Certains tabous culturels arrivent à y faire obstacle, mais les hommes restent cependant aux prises avec un désir qui cherche à s’assouvir.
LE MONDE | | Par André Ciavaldini (psychanalyste, membre de la Société psychanalytique de Paris)
Tribune. Il a fallu quatorze signes pour ouvrir les vannes de ce que beaucoup savaient, peut-être tous, mais que chacun taisait (#balancetonporc). Langues et plumes se délient. Les témoignages sont édifiants, souvent insupportables tant la souffrance qui s’y révèle est grande, sur les pratiques sociales de séduction forcée, d’agressions sexuelles franches du pouvoir masculin. L’homme serait ravalé, par ses pratiques sexuelles, au rang de l’animal, en l’occurrence du porc. « Tout homme a dans son cœur un cochon qui sommeille », écrivait au milieu du XIXe siècle Charles Monselet. #balancetonporc fait penser que ces femmes maltraitées, abusées, bafouées invitent à se débarrasser de ce cochon-là. Point du tout, il s’agissait de dénoncer leurs agresseurs. C’est bien ici que le bât blesse.
LA SEXUALITÉ EST UN FLÉAU POUR TOUS LES HUMAINS, PAS QUE POUR LES HOMMES
En effet, pourquoi aller chercher les porcs ? Ces animaux s’arrangent de leur sexualité sans autres inconforts que ceux qui régissent leur espèce. Laissons donc les porcs tranquilles, ils font plus honneur à notre espèce que nous à la leur. Ce hashtag, en rabattant l’expression de certaines communications sexuelles déviantes sur une prétendue animalité humaine, occulte la vraie question. En effet, le problème qui se décline n’a rien d’animal, même métaphoriquement. Il est exclusivement humain : la sexualité est un fléau pour tous les humains, pas que pour les hommes, même si les hommes, développement culturel aidant, en sont différemment victimes que leurs consœurs.
Contrairement aux animaux, la pulsionnalité sexuelle humaine ne connaît pas de limites, elle cherche encore et toujours à se satisfaire coûte que coûte, sans crainte ni des moyens ni des dégâts qu’elle entraîne. Pour l’humain, quel qu’il soit, l’important est que l’excitation issue de cette pulsionnalité cesse par son assouvissement. Ce qui est recherché, à tout prix, c’est un objet, une action, capable de la faire cesser. La femme est cet objet-là pour l’homme, qui n’a jamais totalement domestiqué cette dimension pulsionnelle. Il l’a canalisée à coups de culture, de civilisation, de lois (Freud et ses successeurs l’ont largement montré), mais au fond elle reste là, à guetter dans l’ombre tant que sa vie pulse.
Les hommes cherchent à épuiser ces tensions
C’est ainsi que s’est développée une alliance masculine implicite qui ne dit jamais son nom mais qui façonne une forme de communauté invisible : le sexe, la sexualité insatiable, envahissante. On en rit entre soi pour s’en dégager, s’en libérer, la décharger, mais elle reste là, obscure, agaçant tous nos contemporains mâles. La consommation de pornographie sur Internet le prouve largement, il s’agit de chercher à épuiser ces tensions que notre société contraint de plus en plus.
CELA POUSSE LES HOMMES À PENSER QUE LES FEMMES SERAIENT TOUTES COMME EUX, ELLES VEULENT DU SEXE
Oui, les hommes sont plus touchés par cette dimension simplement parce qu’ils ont construit une civilisation (au moins en Occident) sur une oppression féminine, sur une mise à disposition des femmes (« culture du viol »), mais en réalité c’est sur une peur des femmes qu’ils l’ont construite, peur qu’elles se refusent à eux et les laissent démunis face à leur pulsionnalité sexuelle. Une pulsionnalité qui les rendrait fous par son exigence.
Cela pousse les hommes à penser que les femmes seraient toutes comme eux, elles veulent du sexe, et d’en oublier par là la différence des sexes dans sa dimension d’inscription symbolique. Alors s’évacuent les logiques de l’écart, de l’asymétrie et de son respect de l’autre. Cette puissance du pulsionnel sexuel façonne une forme occulte de confrérie des hommes entre eux. Même ceux qui, après avoir lu ce texte, diront « je ne m’y reconnais pas » se leurrent. Ni l’éducation, ni les hauts niveaux de CSP n’ont complètement fait taire la pulsionnalité qui s’en moque. Toutes les études sur les auteurs de violences sexuelles judiciarisés ont bien documenté la question.
Tous ces « porcs » sont des hommes en souffrance
Que le pouvoir, aussi petit soit-il, fut-ce de croire qu’être homme c’est être plus que femme, pointe le bout de son nez, alors la pulsionnalité s’en empare pour tenter de soumettre l’objet féminin et le plier à ses fantasmes désuets mais effrayants. Tous ces porcs dont parle ce hashtag sont des hommes en souffrance dans la double acception et d’une douleur (ils souffrent réellement sans le savoir vraiment de leur sexualité) et d’être en attente d’humanité dont le seul vrai critère que nous lui connaissons est le contrôle de la pulsionnalité sexuelle.
Aussi, face à cette confrérie, face à ce pulsionnel envahissant qui diffuse en réseau depuis des centaines de générations dans notre culture et la façonne, il fallait certainement la puissance d’un autre réseau, bien visible celui-là. Internet l’a permis avec ce hashtag. Mais de grâce, laissons maintenant les porcs tranquilles pour voir ce qui nous revient, à nous les hommes. N’en déplaise à certains. Alors nous pourrions écrire un autre hashtag : #noussommestousdesharceleurssexuelsenpuissancemaisnousnouscontrôlons.
André Ciavaldini, psychanalyste, est également fondateur et premier directeur du programme Centre ressource pour les intervenants auprès des auteurs de violences sexuelles, en Rhône-Alpes. Il est en outre directeur de recherche associé au laboratoire de psychologie clinique et de psychopathologie à l’université Paris V-René-Descartes
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