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vendredi 3 novembre 2017

Forum philo. Elisabeth Roudinesco ne craint pas les chemins de traverse

Avec le « Dictionnaire amoureux de la psychanalyse », l’historienne, invitée du Forum philo « Le Monde » Le Mans 2017, s’autorise un surprenant « parcours buissonnier » dans le champ de l’imaginaire freudien.

LE MONDE DES LIVRES  | Par 

Dictionnaire amoureux de la psychanalyse, d’Elisabeth Roudinesco, Plon/Seuil, 568 p.



Même si Freud n’aimait pas particulièrement les dictionnaires, le père de la psychanalyse aurait certainement savouré la lecture de ce Dictionnaire amoureux de la psychanalyse, tant il invite à la rêverie, au plaisir de la libre association. 
« Amour », « Angoisse », « Animaux », les images défilent au rythme de l’alphabet. Certains enchaînements sont plus familiers que d’autres : « Psychanalyse », « Psyché », « Psychiatrie ». Ils indiquent le plus souvent des chemins de traverse : « Holmes Sherlock », « Humour », « Hypnose ». Quand ils ne créent pas de formidables rébus : « Roth Philip », « Saint-Pétersbourg », « Salpêtrière ». Réputée pour ses ouvrages d’histoire de la psychanalyse, Elisabeth Roudinesco* quitte le terrain académique pour proposer à son lecteur un « parcours buissonnier à la première personne ».


On ne trouvera aucune entrée « Freud » ou « Jung » dans ce dictionnaire, mais on rencontrera « Descartes » ou « Cronenberg David ». De même, on cherchera en vain les grands types de maladie ou les topiques de l’appareil psychique. Pas d’entrée catégorielle comme « Névrose », « Moi » ou « Ça », mais des mots quotidiens comme « Rêve », « Désir » ou « Angoisse ».

Déjà co-auteure, avec Michel Plon, d’un volumineux Dictionnaire de la psychanalyse (Fayard, 1997), Elisabeth Roudinesco n’établit pas ici un nouveau vocabulaire spécifique de la discipline. Assumant le caractère « énergumène » de son glossaire, cette amoureuse des dictionnaires transforme le long chemin qui passe par toutes les lettres de l’alphabet en une véritable « aventure de l’imaginaire », à l’image de sa conception de la psychanalyse au XXe siècle.


Une véritable culture universelle


Dans cette liste à la Perec se côtoient pêle-mêle l’ancien et le nouveau, le savant et le populaire, des figures mythologiques, des personnages de roman et même des stars de cinéma : Antigone, Bardamu ou Marylin Monroe. A travers un « récit en forme de labyrinthe », Elisabeth Roudinesco raconte l’épopée d’une méthode d’investigation qui, se nourrissant de mythes et de littérature, est devenue une véritable culture universelle. A l’entrée « Hollywood », l’auteure, cinéphile, rappelle que la publication des Etudes sur l’hystérie, de Freud et Breuer, eut lieu en 1895, la même année que la présentation du premier film des frères Lumière. De Chaplin à Hitchcock en passant par Wilder, bon nombre de chefs-d’œuvre hollywoodiens entretiennent une ­ « connivence » avec la représentation freudienne de l’inconscient.

« Horizontale comme un divan », Hollywood n’est pas la seule ville répertoriée dans ce dictionnaire, dont plus de la moitié des entrées est constituée de toponymes. De Vienne à Buenos Aires, en passant par Budapest, Berlin, Zürich ou New York, Elisabeth Roudinesco dessine également une véritable « géo-psychanalyse », selon l’expression du philosophe Jacques Derrida, montrant combien ce phénomène urbain né en Europe centrale a dû sans cesse se déplacer et se réinventer sous la contrainte répétée de l’exil. Chassés par le nazisme, les pionniers autrichiens, hongrois et allemands abandonnèrent les « villes des commencements » pour s’exiler en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis.

Comme en témoigne cependant l’entrée « Buenos Aires », pour Elisabeth Roudinesco, la véritable renaissance a eu lieu en Amérique latine, et tout particulièrement dans la capitale de l’Argentine, grâce à des exilés européens comme Enrique Pichon Rivière ou Marie Langer. Manifestement éblouie par cette « nouvelle Vienne », qui connaît aujourd’hui le taux le plus élevé de psychanalystes au monde, l’auteure constate : « Buenos Aires a en quelque sorte réinventé l’amour de la psychanalyse. »


Le divan de Freud


Un tel inventaire n’aurait pas été complet sans l’entrée « Divan ». Comme le rappelle l’historienne, cet objet culte, qui fit son apparition en Europe en même temps que le mouvement orientaliste, désignait à l’origine une pièce garnie de coussins et d’un sofa où se réunissait le conseil du sultan de Turquie. Adopté par Freud, qui était passionné d’égyptologie, ce premier divan orné d’un tapis d’Orient connut ensuite toutes sortes de variations. Dans sa version minimaliste, Lacan l’avait choisi de couleur grise et agrémenté d’un simple polochon.

On ne saurait toutefois refermer ce dictionnaire amoureux sans mentionner l’entrée inattendue des « Injures, outrances et calomnies ». Répertoriées sur une dizaine de pages, elles s’égrènent au cœur du livre tel un « long bréviaire de la détestation ». Comparant Marx, Einstein et Freud à un « trépied maudit », on a osé écrire : « Toute la merde est sortie de ces trois anus. » Pour reprendre le titre d’un autre ouvrage d’Elisabeth Roudinesco (Seuil, 2010), on en vient toujours à se demander : « Pourquoi tant de haine ? »

*Elisabeth Roudinesco collabore au « Monde des livres »

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