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mardi 31 octobre 2017

Dépénaliser et décriminaliser la consommation de drogues : une aberration ?

Tribune - Des psychiatres et des addictologues mettent en lumière les retombées positives obtenues par les pays ayant expérimenté la levée de la prohibition de la drogue.

LE MONDE SCIENCE ET TECHNO 

Production (légale) du cannabis, à Milford, Massachusetts, le 28 avril 2017.
Production (légale) du cannabis, à Milford, Massachusetts, le 28 avril 2017. Chloé Hecketsweiler / Le Monde

En 1998, une session spéciale de l’Assemblée générale des Nations unies a adopté, sous le titre A drug-free world, we can do it (« Un monde sans drogue - nous pouvons le faire »), une résolution statuant sur la nécessité de mise en place de politiques de contrôle de la consommation de drogues.

« Nous devons considérer des alternatives à la criminalisation et à l’incarcération des personnes qui utilisent des drogues. »
Le but était de prohiber tous les usages, possession, production et trafic de drogues illicites. Cet objectif correspond au cadre légal dans de nombreux pays. Mais l’évolution récente du contexte législatif conduit à s’interroger sur la pertinence de ce but. Le 26 juin 2015, Ban Ki-moon, secrétaire général de l’ONU, déclarait lors de la Journée internationale contre l’abus de drogues et le trafic illégal :

« Nous devons considérer des alternatives à la criminalisation et à l’incarcération des personnes qui utilisent des drogues et centrer les efforts de la justice sur les personnes impliquées dans le trafic. Nous devons accroître nos efforts portant sur la santé publique, la prévention, le traitement et le soin aussi bien que sur les stratégies économiques, sociales et culturelles. »


Politique néfaste


Dans un numéro spécial d’avril 2016 de la revue scientifique de référence The Lancet, les auteurs, qui font le point sur les conséquences de la politique de ­prohibition en examinant les études menées dans le domaine, mettent en lumière le paradoxe qui y est attaché. Si l’objectif de cette politique est de protéger la santé et la sécurité des populations, la prohibition contribue directement et indirectement, dans tous les pays, à la violence meurtrière, à la transmission de maladies infectieuses, à la discrimination, compromettant ainsi les objectifs de santé publique.

Ils proposent plusieurs types de mesures, parmi lesquelles la décriminalisation des infractions mineures non violentes liées à la consommation de drogues, le développement (et donc le financement !) des politiques de prévention et de réduction des risques infectieux chez les consommateurs. Ils proposent également d’évoluer progressivement vers une régulation du marché sous contrôle des Etats, fondée sur une ­évaluation rigoureuse et non sur des ­injonctions politiques.


Le lien social protège


Changeons maintenant de perspective en nous plaçant du point de vue des personnes et de ce que nous appelons les conduites addictives, c’est-à-dire la prise de drogues. Lorsque l’on exclut ­socialement les consommateurs de toxiques, le résultat est d’une logique implacable : le casier judiciaire rend ­l’accès difficile à un emploi, il devient compliqué de trouver un logement… Tout ceci aggrave l’isolement qui fait le lit de la poursuite de la consommation de toxiques et du risque addictif !

Alexander ont montré que des rats ­vivant seuls consommaient facilement des drogues. Dès qu’ils étaient réunis en groupe, le taux de consommation ­chu­tait fortement et aucune dépendance aux toxiques n’était observée. L’hom­me n’est pas un rongeur, certes, mais ces travaux soulignent que la problématique de l’addiction est aussi d’ordre social, et que le lien social peut être protecteur. Il s’agit donc,si l’on veut être pragmatique, de ne pas aggraver le risque addictif par l’isolement des consom­mateurs et de permettre un accès socialement réglé au produit et à la connaissance de ses effets et de ses risques.

En dépénalisant les utilisateurs, et donc en décriminalisant l’usage du toxique, on offre la possibilité au ­consommateur de ne pas rompre totalement ce lien social. Bien sûr, l’addiction est une maladie, mais comme l’ont fait les Etats américains qui ont dépénalisé l’usage du cannabis, utilisons les budgets alloués à la répression du consommateur pour des programmes de recherche permettant de mieux connaître la dynamique de la consommation, mais aussi pour la prévention, la réinsertion et les soins qui bénéficieront au plus fragiles.


Evolutions législatives


Malgré « l’exception française », nous pouvons tirer leçon des évolutions législatives et de leurs conséquences autour de nous. Aux Etats-Unis, une publication récente de l’université Columbia montre que l’évolution de la législation concernant l’usage du cannabis est associée à une augmentation de la ­consommation dans la population générale, mais pas à une augmentation des troubles liés à cette consommation, ce qui est une indication importante en termes de santé publique.

Plus près de nous, le Portugal, en dépénalisant la consommation de toxique, montre une augmentation des consommateurs qui cherchent à se faire soigner, sans qu’il y ait d’augmentation de la criminalité ni du nombre de décès liés aux produits ­illicites. Depuis la mise en place du nouveau cadre légal, on assiste dix-sept ans après à une diminution du nombre de consommateurs d’héroïne, et un grand nombre des consommateurs sont inscrits dans un parcours de soins.

Ne nous voilons pas la face, les drogues en vente libre, le tabac et l’alcool, sont les deux premières causes évitables de décès en France.
Ne nous voilons pas la face, les drogues en vente libre, le tabac et l’alcool, sont les deux premières causes évitables de décès en France, très loin devant la cocaïne ou l’héroïne. Il n’y a pas de drogue dure ou de drogue douce, il existe tout un panel de substances psychoactives toxiques, qui ont la potentialité d’aliéner, et c’est en prenant soin des sujets à risque que nous arriverons à ­réduire la consommation. Nous ne sommes pas tous prêts à ce changement de paradigme, mais osons pour la santé et le bien-être de tous !

Les auteurs : Pierre-Michel Llorca, professeur de psychiatrie à Clermont-Ferrand ; ­Emmanuel Haffen, professeur de ­psychiatrie à Besançon ; Georges Brousse, professeur d’addictologie à Clermont-Ferrand ; Laurent Boyer, professeur de santé publique à Marseille.

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