L’utilisation à visée médicale du cannabis est, aux USA, en constante augmentation. Vingt-huit états US et le District de Columbia ont légalisé son emploi dans un but thérapeutique. Quarante-cinq à 80 % des utilisateurs de cannabis médicinal le font dans l’optique de combattre des douleurs et jusqu’à 39 % des patients sous opiacés ont recours parallèlement au cannabis. Or, à ce jour il n’existe que peu de données précises, aisément compréhensibles sur les bénéfices à traiter des douleurs chroniques par cannabis.
Une revue systématique a donc été menée dans le but de fournir une vue d’ensemble des effets, à court et à plus long terme, du cannabis sur la santé physique et mentale de patients souffrant de douleurs chroniques mais aussi dans la population générale. Elle s’est basée sur une recherche bibliographique exhaustive dans les principales banques de données informatiques et dans la littérature grise jusqu’ en Février 2016, voire Mars 2017 pour les essais contrôlés randomisés (ECR) et les revues générales. Elle a inclus uniquement des publications de langue anglaise, concernant des adultes à l’exception des femmes enceintes, qui avaient consommé des préparations de cannabis à base de plantes ou des extraits de plantes entières, comme, par exemple le nabiximol, produit pharmaceutique d’origine non synthétique, de composition et de posologie bien standardisées. N’ont pas été pris en compte les articles médicaux ayant trait aux cannabinoïdes de synthèse, tels le dronabinol ou le nabilone, dont l’efficacité a été analysée dans 2 revues générales récentes.
Le paramètre essentiel étudié était l’évolution, sous cannabis, des douleurs ; d’autres paramètres ont pu aussi être évalués, tels que la qualité de vie ou du sommeil. Les dangers potentiels du cannabis ont été, pour leur part, appréciés à la fois chez les malades souffrant d’algies chroniques mais aussi dans la population générale. Dans ce but ont été incluses des séries de cas cliniques mais également des observations rapportant des « effets secondaires nouveaux » plus rarement décrits. Deux investigateurs, de façon indépendante, ont extrait des publications retenues les données pertinentes et en ont apprécié la qualité tandis que le niveau de preuve a été fixé collectivement, selon des critères standardisés.
Une efficacité mesurée sur les douleurs neuropathiques
Le présent travail inclut 13 revues systématiques et 62 études originales, portant sur différents types de douleurs chroniques. Treize de ces publications (dont 11 avec faible risque de biais) ont étudié plus spécifiquement l’impact du cannabis sur les douleurs neuropathiques, centrales ou périphériques. Globalement, avec un niveau de preuve faible, le cannabis tend à atténuer les douleurs neuropathiques chez un certain nombre de patients, sans souvent toutefois d’effet statistiquement significatif quand la douleur est évaluée par échelle visuelle analogique. Neuf études, généralement avec faible effectif et de courte durée, font état d’une amélioration notable, d’au moins 30 % de la douleur avec un Risk Ratio (RR) s’établissant à 1,43 (intervalle de confiance à 95 % [IC] : 1,16- 1,88 ; I²= 38,6 % ; p = 0,111). Le plus vaste ECR inclut 246 malades souffrant de douleurs chroniques neuropathiques traités par nabiximol (jusqu’ 24 sprays par jour) vs placebo. Il est observé une diminution des douleurs dans le groupe actif, l’OR se situant à 1,97 (IC : 1,05- 3,70). Un autre essai, prospectif sur 431 participants analyse l’effet du cannabis sur des douleurs nociceptives neuropathiques non cancéreuses. Il confirme une réduction moyenne de l’intensité des algies, se maintenant pendant un an sous traitement mais, là encore d’amplitude modeste et non significative (OR : 0,92 ; IC : 0,62- 1,23). Neuf ECR portent sur l’effet de préparations à base de cannabis dans la sclérose en plaque avec douleurs intolérables, un seul de ces essais atteignant un niveau de preuve élevé. L’ensemble est insuffisant pour quantifier de façon précise le bénéfice potentiel du cannabis dans cette affection neurologique.
Dans les douleurs chroniques d’origine cancéreuse et dans d’autres pathologies (fibromyalgie, polyarthrite rhumatoïde, douleurs inflammatoires abdominales...), il en va de même du fait du faible nombre d’études, de leurs limites méthodologiques et de leur haut degré d’attrition.
Des effets secondaires psychiatriques et cognitifs
Les méfaits secondaires du cannabis sont en régle modestes, à type de vertiges ou d’étourdissements mais peuvent être aussi plus redoutables comme tentative de suicide, agitation, paranoïa sans, là encore, que leur fréquence atteigne une différence statistique avec celle retrouvée dans un groupe témoin ne consommant pas du cannabis. Deux études de cohorte bien conçues ont fait la preuve que fumer du cannabis n’altérait pas la fonction respiratoire d’adultes jeunes, sur une période de 20 ans, sans précision possible pour des durées d’intoxication plus longues. Aucun élément n’a été rapporté sur une éventuelle toxicité cardiovasculaire, ni sur une incidence accrue, sous cannabis, des cancers de la tête et du cou ou pulmonaires.
Dans le domaine de la santé mentale et des fonctions cognitives, une revue systématique et 8 ECR, en population générale, sont plus instructives, retrouvant, de façon constante, une association entre produits à base de cannabis, notamment le tétrahydrocannabinol, et développement d’une symptomatologie psychotique, le niveau de preuve restant toutefois faible. Cette association a été observée tant dans les populations à haut risque de désordres psychotiques que dans celles de niveau de risque moyen. Six études longitudinales ont mis en évidence, avec un niveau de preuve faible, une association entre consommation de cannabis et épisodes maniaques chez des sujets bipolaires connus. Une revue signale, de même, une forte incidence d’épisodes maniaques en cas de trouble bipolaire (OR : 2,97 ; IC : 1,80- 4,90). Deux publications, portant sur la population générale, avec un niveau de preuves jugé modéré, témoignent d’une association entre prise de cannabis au long cours et altération, modeste, de la fonction cognitive. Quant au risque de suicide, une méta- analyse de 4 études épidémiologiques permet de déceler une augmentation significative du nombre de décès sous cannabis (OR d’ensemble à 2,54 ; IC : 1,28- 5 ,20), sous réserve de nombreux biais possibles et d’une méthodologie souvent faible des travaux retenus. Sur un autre plan, une méta-analyse de 21 études observationnelles multinationales suggère qu’une intoxication aiguë au cannabis est associée à une augmentation du risque d’accidents automobiles (OR : 1 ,35 ; IC : 1,15- 1,6). Plus anecdotique, la consommation chronique a été reliée à une forme particulière de vomissements cycliques dénommé syndrome d’hyperémèse cannabinoïde, à la survenue d’infections tuberculeuse ou aspergillaire et à un comportement violent.
Cette revue systématique n’apporte donc que des données limitées sur les bénéfices et les dangers potentiels de l’utilisation thérapeutique du cannabis dans les douleurs chroniques. Il existe toutefois des arguments témoignant d’un effet favorable dans les douleurs neuropathiques des préparations à base de tétra hydro cannabitol (THC). Un rapport récent de la National Academy of sciences a conclu à un effet bénéfique sur les douleurs chroniques, effet toutefois modeste et limité aux seules douleurs neuropathiques. Il ressort aussi de cette analyse que le cannabis ne semble pas altérer la fonction pulmonaire, ni être à l’origine de cancers pulmonaires ou ORL, indépendamment d’une intoxication tabagique concomitante. Par contre, les preuves sont nombreuses d’effets secondaires sur la santé mentale et la fonction cognitive au long cours, de la survenue possible d’une symptomatologie psychotique, voire de manifestations plus rares telles que le syndrome d’hyperémèse cannabinoïde. Il importe de signaler que nombre de publications sélectionnées pour cette revue systématique ont souffert de biais méthodologiques et que les posologies utilisées de THC ont été éminemment variables. Il existe, par ailleurs, plusieurs autres réserves : les études concernant les cannabinoïdes de synthèse ont été écartées ; les dangers potentiels ont été relevés à la fois dans la population générale et chez des sujets douloureux chroniques ; d’autres facteurs n’ont pas été analysés, comme la qualité du sommeil ou, plus généralement, la qualité de vie.
En résumé, bien que l’usage du cannabis dans les domaines thérapeutique et récréatif soient en hausse constante, peu de données rigoureuses sont disponibles pour quantifier ses effets dans les douleurs chroniques. Il apparaît toutefois, avec un niveau de preuve limité, que le cannabis tend à soulager les douleurs neuropathiques. A contrario, il tend à affecter la santé mentale et peut favoriser la survenue de psychoses.
Dr Pierre Margent
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire