La pilule reste le premier moyen de contraception en France, mais son usage décline. Les aînées qui se sont battues pour l’accès à la contraception observent et s’inquiètent.
LE MONDE | | Par Emeline Cazi
Attraper sa plaquette de pilules sur l’étagère de la salle de bains chaque soir au coucher, ou sur la table de chevet au réveil, puis avaler le comprimé garantie anti-grossesse sera peut-être bientôt le réflexe d’un autre temps. Le mouvement amorcé au début des années 2000 et confirmé au tournant de la décennie semble devenir une tendance de fond, encore inenvisageable il y a peu : les femmes, en France, délaissent de plus en plus la pilule.
Le vécu d’Apolline, 28 ans, première plaquette à 16 ans et dernière en 2012 par peur des hormones, souci de la planète et ras-le-bol des effets secondaires, résume celui de milliers d’autres femmes qui, pour certaines, ont répondu à notre appel à témoignages. Elles sont élève infirmière, graphiste, éducatrice spécialisée ; vivent à Paris, Lille, Caen, Marseille ; sont en couple ou pas ; ont déjà des enfants ou non, et ont toutes décidé d’arrêter la pilule.
Les enquêtes Fecond de 2010 et 2013, la référence sur les comportements sexuels des Français, avaient enregistré les débuts de cette désaffection. En trois ans, le recours à la pilule était passé de 50 % à 41 % chez les femmes entre 15 et 49 ans. On attend d’ici peu le volet contraception du baromètre santé de Santé publique France. Mais les signes ne trompent pas. Les gynécologues de ville confirment le phénomène. Les Apolline, Chloé, Lou témoignent en nombre sur la toile. Et si le livre J’arrête la pilule de Sabrina Debusquat, sorti début septembre (Les liens qui libèrent, 304 p., 19,50 euros), pèche par un manque de nuances et des raccourcis scientifiques, il a le mérite de faire exister publiquement cette génération post-pilule.
Affolement
Il y a un avant et un après décembre 2012, assurent les chercheurs et gynécologues. Publiée en « une » du Monde cet hiver-là, l’histoire de Marion Larat – une étudiante promise à un brillant avenir frappée d’un AVC massif qu’elle attribue à sa pilule – marque les esprits. Les œstroprogestatifs de 3e et 4e génération sont alors seuls visés – la justice a pour le moment conclu à un non-lieu –, mais le discrédit frappe l’ensemble des contraceptifs oraux. Soudain, la pilule devient un médicament à effets secondaires.
Chez les femmes, qui pour beaucoup l’ignoraient, c’est l’affolement. « Même les pères s’en sont mêlés. Du jamais-vu », se souvient le docteur Edith Laplane-Caillol, trente ans de gynécologie médicale à Marseille. Les plaquettes sont jetées à la poubelle. « Elles avaient peur de mourir », complète sa consœur Josiane Camarena. Dans les cabinets, on tente de rassurer : les risques sont rares, connus depuis longtemps. Mais le discours n’imprime plus.
Tenir la crise de 2012 pour seule responsable de ce désamour serait toutefois passer à côté du sujet. Le phénomène se nourrit de courants plus profonds, reflets d’une époque. A l’ère de la bio-détox-sans gluten, prendre un traitement pendant des années quand on est en bonne santé apparaît comme un non-sens.
L’envie de retrouver des cycles naturels participe du même mouvement. Et tant pis si les règles sont aléatoires, plus abondantes et douloureuses. On ne les médicalise plus. « Elles ont mal ? Elles prennent du paracétamol, mais refusent les anti-inflammatoires, note le docteur Elisabeth Paganelli, secrétaire générale du Syndicat national des gynécologues, installée en secteur 1 à Tours. Et les jeunes disent que ce n’est pas grave de manquer le travail pour cela. »
Petit à petit, le voile sur les « petits » effets indésirables s’est aussi levé. Longtemps tus et endurés sans discuter, au nom de la liberté et de la tranquillité d’esprit, ils ne sont désormais plus acceptés. Il n’est plus question en 2017 de supporter les nausées, la prise de poids, les sautes d’humeur ou la baisse de la libido attribuées à la prise d’hormones. Les copines, la cousine jurent se porter mille fois mieux depuis qu’elles font sans, pourquoi pas moi.
« Mouvement de défiance plus général »
La tombée en disgrâce de celle qui fut pendant tant d’années le symbole de la libération des femmes s’inscrit dans « un mouvement de défiance plus général à l’égard de ce qui provient de l’industrie : la pilule, les tampons hygiéniques, les vaccins », fait remarquer Nathalie Bajos, spécialiste de la contraception en France, et coauteur des études Fecond. Le médecin a aussi perdu de son aura. Les crises sanitaires et leur lot de révélations sur les conflits d’intérêts sont passés par là. Aujourd’hui, on consulte Internet puis on s’autorise à questionner l’ordonnance.
« L’évolution de la sexualité des femmes, qui est plus diversifiée », n’est peut-être pas non plus étrangère à cette remise en cause, poursuit la sociologue Nathalie Bajos. « La période entre le premier rapport et le premier enfant dure plus longtemps. Il y a des relations qui s’entrecroisent, des partenaires qui changent. » La pilule, qui reste en France le numéro 1 des moyens de contraception, n’est peut-être plus la plus adaptée. Cette perte de prestige traverse tous les âges, à l’exception peut-être des jeunes adolescentes, les 16-17 ans. « Mais dès qu’elles entrent à l’université, elles s’informent et discutent l’ordre établi », a constaté le docteur Paganelli.
Les aînées comme elle qui se sont battues pour l’accès à la contraception observent et s’inquiètent. « J’espère que ce n’est pas un retour en arrière, poursuit la gynécologue. La pilule ne nous a-t-elle pas libérées ? Des risques d’anémie, des règles douloureuses ? Grâce à elle, on a déplacé la date de nos cycles et réussi à devenir pilote de ligne, chirurgien, réanimateur-anesthésiste. Si on se tord de douleur pendant huit jours, comment fait-on ? »
Le stérilet connaît un regain de notoriété
La nouvelle génération rassure. Il est hors de question de balayer ces acquis. Les enfants, c’est toujours quand je veux, avec qui je veux. Seule la méthode change. Le stérilet, souvent délaissé par des médecins frileux à l’idée de le poser à des jeunes filles – il est par ailleurs peu rentable pour l’industrie – connaît un regain de notoriété. « J’ai une patiente par semaine qui me demande d’en poser un »,rapporte le docteur Tiphaine Beillat, qui consulte dans une clinique privée de Rouen.
Les autres combinent les méthodes naturelles (température, étude de la glaire, comptage des jours) avec le retrait ou le préservatif lorsque leur téléphone les avertit qu’elles ovulent. Il y a des ratés. « Les filles de 20 ans ne mesurent pas leur potentiel de fertilité », soupire Isabelle Héron, présidente du collège des gynécologues en Normandie. Les consultations contraception s’allongent. « Les femmes veulent être actrices de leur santé. A nous de leur consacrer le temps nécessaire pour trouver ce qui leur convient », explique le docteur Julia Maruani, son homologue à Marseille.
Comme chaque mini-révolution qui conteste sans nuance le modèle établi, ce mouvement « no pilule » a tendance à occulter ce que celle-ci a apporté aux femmes en termes de maîtrise de la fécondité et de la sexualité. Les spécialistes le déplorent. Les hormones soulagent aussi le quotidien de nombreuses femmes. « Chez les adolescentes et celles qui ont des règles abondantes, la pilule permet de réduire (significativement) l’abondance des saignements. En particulier chez celles qui souffrent de maladies hémorragiques, les traitements œstroprogestatifs ou progestatifs permettent d’éviter l’anémie chronique », explique le docteur Lise Duranteau, endocrino-gynécologue à l’hôpital de Bicêtre (Val-de-Marne).
Non traitées, les dysménorrhées (règles très douloureuses) sont responsables d’absentéisme à l’école ou au travail. Pour ce qui est du cancer, une étude montre une légère augmentation du risque du cancer du sein, mais l’effet préventif sur celui des ovaires et de l’endomètre n’est pas discuté. A celles qui bannissent les hormones, les gynécologues aiment le rappeler.
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