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lundi 18 septembre 2017

Le dernier combat d’Anne Bert

Rencontre avec l’écrivaine, atteinte de la maladie de Charcot, qui a médiatisé son choix d’aller mourir prochainement en Belgique

LE MONDE  | Par 

Anne Bert, à Fontcouverte (Charente-Maritime), le 11 septembre.
Anne Bert, à Fontcouverte (Charente-Maritime), le 11 septembre. Theophile TROSSAT pour "Le Monde"

Matinales radio, pleines pages dans les magazines et les journaux nationaux… En ce début d’automne, Anne Bert est partout. Difficile d’ignorer la décision de cette écrivaine de 59 ans d’aller prochainement mourir en Belgique pour mettre un terme à sa descente aux enfers. Atteinte de sclérose latérale amyotrophique (SLA), plus connue sous le nom de « maladie de Charcot », une pathologie neurodégénérative évolutive et incurable qui, petit à petit, la « momifie » et l’« emmure » vivante, elle a choisi de médiatiser sa décision dans l’espoir de faire évoluer la loi française interdisant l’euthanasie et le suicide assisté.


Dans son bureau baigné d’une douce lumière, au premier étage d’une petite maison aux murs blancs nichée à Fontcouverte, à côté de Saintes, en Charente-Maritime, Anne Bert se tient droite sur la chaise, derrière sa table de travail. Elégante et lumineuse, la parole fluide, elle déroule avec aisance son histoire, expose ses arguments, enchaîne les formules percutantes. A quelques jours de l’échéance, elle donne encore largement le change.

Et pourtant. Ses bras décharnés restent collés le long de son buste, l’obligeant à basculer tout son corps pour saisir quelque chose avec la bouche. Ses jambes tout aussi frêles ne la portent désormais pas plus loin que le jardin… Dissimulée par un foulard, une minerve lui maintient la tête. Elle ne boit plus qu’à l’aide d’une paille. « Je ne peux plus me nourrir ou me coucher seule, je n’arrive parfois plus à avaler, je vis comme un animal », lance-t-elle, confessant avoir perdu 15 kg en un an, accusant ce « corps cannibale » qui « divorce » d’elle, coupable de ce « désastre ».


« L’émotion, c’est stérile »

En quelques semaines, d’interviews en portraits, celle qui se dit « simple adhérente » de l’Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD), et qui assure ne pas être une « militante dans l’âme », a forcé sa nature « secrète » et s’est muée en porte-parole des partisans du droit à décider de sa mort. Une démarche pratiquement sans équivalent, les précédents exemples de départs en Suisse ou en Belgique ayant été médiatisés après la mort de la personne. « Je ne veux pas susciter l’émotion, ça ne m’intéresse pas, commente Anne Bert. Je veux susciter le débat, la prise de conscience. L’émotion, c’est stérile. »

Elle désigne du menton la pile des lettres reçues ces derniers mois. Chaque jour, près d’une centaine de témoignages lui arrivent, par mail ou par courrier, écrits par des malades ou des familles de malades. Des lettres « magnifiques et bouleversantes » auxquelles elle dit regretter de ne plus avoir ni le temps ni la force de répondre. « J’aimerais pouvoir les réunir toutes et les publier », soupire l’ancienne directrice de collection.

Cet été, elle a pu dicter un ultime livre. Dans Le Tout Dernier Eté (Fayard), qui sortira le 4 octobre, probablement après sa mort, l’auteure de textes érotiques et intimes chronique avec mélancolie son adieu au monde et à ses proches. Elle y égrène notamment tous ces moments, petits ou grands, qu’elle vit pour la dernière fois. « Pour moi, il n’y aura plus d’autre printemps (…), plus de chaleur écrasante et de vrombissements d’abeilles. De dîners au jardin jusqu’à plus d’heure, écrit-elle. Je vais descendre du manège enchanteur des saisons qui ne tournera plus pour moi. »

En ce début septembre, le compte à rebours est entré dans sa phase finale. « Je suis en train de basculer vers l’écroulement, j’ai dépassé mes limites d’acceptation », dit-elle. Pour elle, la loi Claeys-Leonetti adoptée en décembre 2015 et autorisant depuis août 2016, sous certaines conditions, une « sédation profonde et continue » pour les malades en fin de vie n’est que de la « poudre aux yeux »« Les malades comme moi sont abandonnés, c’est d’un mépris absolu de dire que la loi règle tous les cas. »


« Honte que la France se déleste sur les autres pays »


Dans la maison, son mari et sa fille s’affairent en silence au salon, au rez-de-chaussée. D’ici quelques jours, c’est avec eux et quelques proches qu’Anne Bert se rendra une dernière fois en Belgique, où un médecin généraliste et un neurologue ont accepté de la suivre. A l’issue d’une semaine d’hospitalisation dans un service de soins palliatifs, elle recevra une injection létale. « On ne précipite rien, on atermoie un peu », confie-t-elle, disant ne pas s’être lancée un « défi »« Je me laisse la grande liberté, jusqu’à la dernière minute, de changer d’avis. »

Comme le prévoit la loi belge, elle a réitéré à trois reprises son souhait depuis décembre. « Je suis apaisée de savoir qu’une équipe m’attend, dit-elle. Mais je suis en colère que ce soient des motifs religieux qui empêchent de voter une telle loi chez nous. J’ai honte que la France se déleste de ça sur les autres pays. C’est comme quand elle fermait les yeux sur les avortements en Angleterre ou sur les faiseuses d’anges. »

A-t-elle envisagé de demander à des médecins de l’aider à mourir en France, en toute discrétion, comme cela se pratique parfois ? « J’aurais pu le faire, mais je ne veux pas que mes amis se retrouvent au tribunal, je n’ai pas envie de me planquer, je veux que ce soit un droit. » Elle a également refusé de se rendre en Suisse pour bénéficier d’une aide active à mourir. « Je ne comprends pas qu’il faille dépenser près de 6 000 euros pour cela, dit-elle. Pour moi, ça s’assimile à du business, je ne veux pas cautionner ce que je réprouve. »


Nouveau texte d’ici deux ou trois ans


Parvenue au terme de son marathon médiatique, Anne Bert continue de garder un œil sur la façon dont celui-ci est reçu sur le Web. Elle s’aventure ainsi à lire les commentaires – parfois violents et hostiles – de lecteurs sous les articles qui lui sont consacrés. A l’aide de son logiciel de dictée, elle interpelle même parfois directement sur Twitter ceux qui critiquent sa décision. « Culture de mort… ça veut dire quoi dans un pays soumis au tabou de la mort ? Non c’est la culture de la vie, et la mort en fait partie », a-t-elle par exemple répondu à quelqu’un qui l’accusait de la propager.

Déçue par ce qu’elle estime être une promesse non tenue de François Hollande, elle a interpellé au printemps les principaux candidats à l’élection présidentielle. Elle s’est entretenue longuement cet été au téléphone avec la ministre de la santé, Agnès Buzyn. « Elle m’a affirmé n’avoir jamais été confrontée, en tant que médecin, à une demande de patient pour abréger ses souffrances. Soit elle est de très mauvaise foi, soit je ne sais pas dans quel monde elle vit », soupire-t-elle. Malgré l’extrême prudence d’Emmanuel Macron sur le sujet, Anne Bert est convaincue qu’un nouveau texte de loi sera voté d’ici deux ou trois ans. « Parce que, à un moment donné, la France va avoir ce courage. »


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