Benjamin Leclercq 20.12.2016
Comme chaque mardi, et depuis plusieurs mois déjà, c'est l'air un peu dépité que Kristina Kojan contemple la petite dizaine de jeunes hommes qui ont rejoint le baraquement no 7 de Grytan.
Cette fois encore, le språkcafé (café de langue) que l'Église suédoise anime dans ce camp de réfugiés de la province du Jämtland, au centre de la Suède, est quasi vide. Déçue, la responsable n'est cependant pas surprise : « Ce n'est que le symptôme de la démotivation ambiante, et de l'abattement général. Ils n'y croient plus. » En cette fin d'année 2016, tous les intervenants du camp, bénévoles comme gérants, sont inquiets. Le moral des quelque 190 demandeurs d'asile hébergés ici n'a en effet jamais semblé aussi bas depuis l'ouverture de Grytan il y a 4 ans.
Anxiété, comportements dépressifs, perte de sommeil, les signes ne trompent pas. « C'est la grosse déprime », résume Kristina Kojan. Si le rugueux hiver local n'aide pas, c'est cependant plutôt du côté de la politique nationale qu'il faut regarder, pour comprendre cette désespérance. Dépassée par l'afflux de migrants, la Suède, jusqu'alors très accueillante, a opéré fin 2015 un revirement complet dans sa politique d'accueil des réfugiés : les permis de séjour, jusqu'alors permanents, ont été remplacés par des permis temporaires, et les conditions du regroupement familial ont été drastiquement durcies.
Des délais de 15 à 20 mois
Dans le même temps, les délais de traitement des dossiers ont explosé. Les demandeurs peuvent attendre jusqu'à 15 à 20 mois une réponse de l'Agence des migrations. « Les migrants aujourd'hui dans le camp, arrivés en même temps que cette nouvelle législation, ont le sentiment d'être arrivés trop tard. Ils sont sans espoir », souligne Irène Fregelin, responsable de la Croix-Rouge d'Östersund, la commune dont dépend le camp. « Le contraste entre les débuts de Grytan et le Grytan de 2016 est saisissant. Avant, les demandeurs d'asile savaient qu'ils avaient bien fait, en choisissant la Suède. Désormais, ils dépriment et pensent à leur famille, restée au pays. »
« Ma famille est à Alep, sous les bombes, et la Suède ne me permet plus de les faire venir, témoigne Kamel, un Syrien de 29 ans. C'est psychologiquement terrible à vivre. Certains jours, je relève la tête, puis je sombre à nouveau. » La situation est d'autant plus critique qu'elle touche un public déjà fragilisé. En novembre, la Croix-Rouge suédoise a tiré la sonnette d'alarme, en publiant une étude sur la santé mentale des demandeurs d'asile syriens en Suède. Le constat est frappant : un sur trois souffre de dépression, d'anxiété et de symptômes post-traumatiques. Au total, le nombre des demandeurs d'asile requérant un soutien psychologique dépasserait les 10 000, dont beaucoup d'enfants, estime l'ONG.
Il y a donc urgence mais les services de santé sont débordés, et manquent de moyens. À Grytan, en 2012, lorsque la crise migratoire était à son commencement, une équipe médicale occupait un petit baraquement de manière permanente. Quatre ans plus tard, les soignants courent d'un camp à l'autre dans toute la province, et le petit baraquement est vide. La ville la plus proche, Östersund, est à 18 km de là.
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