Des sorcières aux tondues de la Libération, l’exposition «Présumées coupables», au musée des Archives nationales, à Paris, représente six siècles de procès, souvent sexistes, faits aux femmes.
C’est un test qui ne trompe pas. Quelles sont les femmes les plus célèbres de l’histoire de France ? «Jeanne d’Arc et Marie-Antoinette… et Charlotte Corday suit de très près», réplique Pierre Fournié, l’un des commissaires de l’exposition parisienne «Présumées coupables».
Des femmes jugées, condamnées et exécutées. Siècle après siècle, les romans, les journaux et le cinéma ont été hantés par la figure de la femme criminelle, traîtresse ou déchue, sorcière ou fille perdue. Elles ne représentent pourtant, aujourd’hui encore, que 5 % des criminels condamnés - une proportion à peu près stable depuis le Moyen Age, comme le relève l’historienne Claude Gauvard. Mais toujours, la suspecte est bien plus scandaleuse que l’homme délinquant : traditionnellement renvoyée à sa douceur maternante et à sa fonction de pacificatrice, «la femme est d’autant plus coupable qu’elle ne devrait pas l’être», écrit encore l’historienne, dans le livre publié à l’occasion de l’exposition (Présumées coupables aux éditions L’iconoclaste).
Celle-ci s’organise autour de cinq archétypes. La sorcière, l’empoisonneuse, l’infanticide, la pétroleuse, la tondue de la Libération. Cinq variantes d’une même peur : celle de la sexualité féminine et de la puissance/violence de ces femmes qui n’entrent pas dans le rôle qui leur est assigné. Crainte d’un grand charivari qui verrait le pouvoir des hommes défié. A travers 320 procès-verbaux d’interrogatoires, de condamnations à mort, de lettres de rémission adressées au roi pour obtenir son pardon, l’exposition retrace la ligne de vie (brisée) de petites sorcières anonymes.
Dans les vitrines, les PV d’interrogatoires de Jeanne d’Arc, de La Brinvilliers, de Violette Nozière, de Louise Michel ou un rapport de police sur Léonie Bathiat, alias Arletty, accusée d’avoir eu une liaison avec un officier allemand et d’avoir dénoncé un espion anglais… Dans tous ces documents, arides et faussement neutres, ce n’est pas la parole des femmes accusées qu’on entend, mais leurs mots retranscrits par des hommes : les démonologues, les policiers, les procureurs. «Du Moyen Age au XXe siècle, ce sont des hommes qui jugent les femmes, rapporte Pierre Fournié. Et ils leur posent des questions qu’on ne pose jamais aux hommes. Jamais un collabo n’a été interrogé sur ses relations sentimentales avec une Allemande…»
Pas question de transformer l’ancestrale coupable en éternelle victime : si ce sont des hommes qui condamnent les femmes, ce sont aussi, souvent, des femmes qui dénoncent d’autres femmes plus fragiles ou plus marginales : célibataires, rebelles ou pauvres, comme le rappelle Fanny Bugnon, commissaire de l’exposition. Dans les manuscrits qui rapportent la recherche de la «marque du diable» laissée sur la peau entièrement rasée des présumées sorcières ou dans les photos de cheveux qui tombent après la Libération, c’est toujours le corps de la femme trop libre, trop sexuelle, qui surgit. «Finalement, dit Claude Gauvard, c’est le corps de la femme qui est mis en jugement.»
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