LE MONDE DES LIVRES | | Par Elisabeth Roudinesco
Mon combat pour une psychiatrie humaine, de Pierre Delion avec Patrick Coupechoux, Albin Michel, 274 p., 19,50 €.
Pierre Delion, né en 1950, a eu la bonne idée de retracer son itinéraire, avec l’aide de son ami Patrick Coupechoux, dans un bel ouvrage qui permet au lecteur de saisir, sur le vif, ce que fut en France, pendant une quarantaine d’années, l’approche des pathologies de l’enfance et de l’adolescence : anorexie, autisme, schizophrénie, toxicomanie, délinquance, etc. Issu d’un milieu modeste – ses parents tenaient une quincaillerie à Tuffé (Sarthe) –, Delion eut très tôt la volonté d’être médecin. C’est le curé du village qui propose à son père de l’inscrire au collège Sainte-Croix du Mans, tenu par des jésuites. A leur contact, il reçoit un enseignement aussi laïc que celui délivré par l’école républicaine.
Après s’être orienté vers la psychiatrie, il découvre au CHU d’Angers la terrible réalité de l’asile : « Les salles avec quinze patients attachés à leurs lits, les arriérés, les délirants, les schizophrènes, les autistes qui se tapent la tête contre le radiateur : la cour des miracles. »Cependant, comme tous les psychiatres de sa génération, il croise l’aventure de la psychothérapie institutionnelle dont il deviendra l’un des meilleurs représentants. Issu de la Résistance, ce courant dit « désaliéniste » met en avant une thérapeutique plurielle de la folie qui vise à abolir l’enfermement en proposant une triple prise en charge des patients : sociale, psychique, biologique.
On est bouleversé par des histoires ordinaires
Ayant acquis les plus hautes distinctions hospitalo-universitaires, Delion est nommé en 2003 professeur de pédopsychiatrie au CHU de Lille, ce qui lui permet de réaliser son rêve : un travail d’équipe qui associe instituteurs, soignants, infirmiers, psychologues au service des enfants en souffrance et de leurs familles. On trouve dans ce livre une magnifique description des activités quotidiennes de ces hommes et de ses femmes animés d’un même désir de faire de la psychiatrie une médecine de la subjectivité, en s’appuyant autant sur la psychanalyse que sur les traitements cérébraux et médicamenteux, ou encore, dans les cas d’automutilation, sur la vieille technique de l’enveloppement (packing) qui permet à l’enfant de trouver son image corporelle. Et, parfois, on est bouleversé par des histoires ordinaires. Celle de cet enfant autiste, par exemple, qui explore sans cesse la cuvette des toilettes tout en étant agrippé au tablier de Jeanine, la cuisinière du service qui lui fait des gâteaux. Invité à monter sur un poney, il lui soulève la queue pour sentir l’odeur du crottin. Progressivement, grâce à la ténacité de l’équipe, il changera d’attitude.
Dans la dernière partie de l’ouvrage, Delion aborde la disparition de cette psychiatrie humaniste qu’il a tant aimée et qui est désormais remplacée par une neuro-pédagogie dogmatique visant à regrouper toutes les pathologies en un seul syndrome dénué de signification : le trouble envahissant du développement (TED). Par cette désignation unique, on peut diminuer le coût des traitements de longue durée et liquider les équipes, quitte à brader la passionde soigner qui donne un sens à la subjectivité humaine. En lisant ce livre, on se dit que le regard qu’une société porte sur ses fous est à l’image de ce qu’elle pense d’elle-même. Et Delion en conclut que, si la psychiatrie contemporaine est dans une telle crise, c’est que « notre fonctionnement démocratique l’est aussi ». On ne saurait mieux dire.
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