LE MONDE SCIENCE ET TECHNO | Pierre Jouannet, membre de l’Académie nationale de médecine.
Les gènes jouent un grand rôle dans notre vie. Avec beaucoup d’autres éléments, ils contribuent à nous façonner, à faire ce que nous sommes, et parfois même qui nous sommes. Le génome de l’être humain, comme celui de toutes les autres espèces vivantes, n’est pas stable, il est capable de s’adapter, d’évoluer au fil des générations. Parfois, ses altérations peuvent être responsables de dysfonctionnements ou de maladies graves chez les individus atteints mais aussi dans leur descendance.
Certains êtres vivants, comme les bactéries, ont mis en place des mécanismes moléculaires pour protéger et réparer leur ADN quand il est agressé. C’est l’analyse et la compréhension de ces mécanismes qui a conduit à mettre au point un outil moléculaire extraordinaire, Crispr-Cas9, capable de réparer ou de modifier l’ADN de toutes les espèces vivantes.
Depuis toujours, l’humain a cherché à influencer la production des végétaux ou des animaux qui l’entouraient y compris en modifiant leur patrimoine génétique, mais cela se faisait de manière artisanale, soit par croisement, soit en orientant la reproduction des espèces. Avec Crispr-Cas9, on change d’échelle, dans la mesure où il est possible de modifier « à volonté » la structure même de l’ADN. D’autres avaient déjà été essayées, mais la méthode Crispr-Cas9 est beaucoup plus efficace, moins difficile à mettre en œuvre et peu coûteuse. Elle permet aussi d’intervenir sur plusieurs gènes à la fois. Ses applications envisageables sont multiples dans tous les domaines de la biologie végétale, animale et humaine, ce qui explique le grand nombre de résultats scientifiques déjà publiés, à peine trois ans après la description de la méthode.
Excitation du monde scientifique
Dans le domaine biomédical aussi, les applications potentielles sont très nombreuses. Mais dans quelles circonstances pourrait-on modifier le génome humain ? La question n’est pas nouvelle. Ce qui est nouveau, c’est que, désormais, on imagine que cela peut devenir facilement réalisable, d’où l’excitation qui s’est emparée du monde scientifique. L’effervescence a monté encore d’un cran au printemps, quand une équipe chinoise a testé la méthode sur des embryons humains. Pourrait-on utiliser Crispr-cas9, non seulement pour réparer un gène altéré ou restaurer des fonctions défaillantes chez un individu malade, mais aussi pour modifier le génome d’un enfant à naître ? Rappelons que, depuis 1994, ce dernier type d’intervention est interdit en France.
C’est avec l’objectif de traiter les questions relatives à l’usage biomédical de Crispr-Cas9 que les Académies nationales des sciences et de médecine américaines ont organisé une rencontre internationale, du 1er au 3 décembre 2015 à Washington, en collaboration avec la Royal Society britannique et l’Académie des sciences chinoise. Trois enseignements peuvent être retenus de cette réunion.
Trois enseignements
1. La génétique moléculaire dispose avec Crispr-Cas9 et ses dérivés de nouveaux moyens pour mieux comprendre et connaître le vivant. La technique, qui est encore perfectible, est avant tout un outil extraordinairement performant pour mener des recherches à toutes les étapes de la vie, y compris au tout début du développement de l’embryon humain.
2. Bientôt Crispr-Cas9 permettra de mieux comprendre mais aussi de traiter un grand nombre de pathologies. Dans certains cas, la correction d’un seul gène pourrait contribuer à restaurer une fonction normale, comme par exemple chez les personnes atteintes de drépanocytose ou de chorée d’Huntington. Il devrait être aussi possible d’améliorer la résistance à des infections comme celle par le VIH. Chez un enfant atteint de leucémie, on pourrait prélever la moelle osseuse, traiter les cellules souches hématopoïétiques in vitro, puis réinjecter les cellules corrigées pour rétablir une fonction médullaire normale.
Il ne faut pas être exagérément optimiste. Des questions restent encore à régler concernant l’efficacité et l’innocuité de la méthode, mais il est probable que les premiers essais cliniques utilisant Crispr-Cas9 seront lancés au cours des prochaines années. Ils pourront être entrepris avec toutes les garanties nécessaires, en tenant compte des dispositions réglementaires existant dans la plupart des pays pour encadrer ce type de traitement. Modifier le génome de cellules somatiques pour traiter un individu ne suscite pas beaucoup de réserves.
3. Il en va tout autrement si la technique est utilisée pour modifier le génome des cellules germinales ou d’un embryon humain. Dans ces cas, l’ADN serait modifié dans l’ensemble des cellules de l’enfant qui naîtrait de cette thérapie génique germinale, et il en irait de même ultérieurement dans toute sa descendance.
D’un point de vue médical, la démarche pourrait être entreprise quand il y a risque de transmission par les parents à l’enfant d’une pathologie génique très grave et clairement identifiée et quand il n’y a pas d’autre moyen d’éviter la naissance d’un enfant atteint. Ce genre de situation est extrêmement rare.
L’éventualité que des personnes ou des groupes sociaux puissent souhaiter modifier le génome des enfants pour promouvoir tel ou tel trait ou caractéristique dépendant des gènes est aussi régulièrement évoquée. Outre que, dans la plupart des cas, il s’agisse d’une illusion, nos traits, nos caractères et donc qui nous sommes dépendant de multiples facteurs et pas uniquement de tel ou tel gène, agir ainsi est actuellement impossible.
La réunion de Washington
Un des principaux mérites de la réunion qui s’est tenue à Washington est en effet d’avoir rappelé que, quelles que soient les considérations philosophiques, idéologiques ou sociales avancées, il serait aujourd’hui totalement irresponsable de chercher à modifier le génome d’un enfant à naître. Les résultats des études qui ont été réalisées sur des modèles animaux montrent que les techniques disponibles ne permettent pas de garantir que l’effet recherché soit atteint, ni l’absence d’erreurs ou d’autres effets indésirables chez l’enfant. Il est peu vraisemblable que ces conditions soient réunies avant longtemps. Mais si cela devenait possible un jour, serait-ce acceptable ?
Pour une fois, il est possible de réfléchir en amont aux conditions de mise en œuvre, aux conséquences et aux éventuelles limites de nouvelles formes d’intervention sur l’être humain à toutes les étapes de sa vie. Il est à l’honneur des organisateurs et des participants, scientifiques ou non, de la réunion de Washington de ne pas avoir fermé la porte et d’avoir souligné la nécessité de poursuivre la réflexion et le débat.
Pour que ce dernier puisse être mené à bien, deux conditions sont indispensables : continuer à progresser dans les connaissances, donc ne pas interdire la recherche, et ne pas se limiter à des discussions entre experts scientifiques ou médicaux en associant l’ensemble de la société. C’est la voie qui va être apparemment suivie aux Etats-Unis, souhaitons qu’elle le soit aussi dans le reste du monde, notamment en Europe et en France.
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