Catherine de Sienne baisant les bubons des pestiférés, François d’Assise embrassant un lépreux, des exemples d’humilité légendaire émaillent la vie des saints, qui illustre cette voie de l’« abaissement » de Dieu fait homme, cette imitation de l’amour christique envers les plus démunis. La future sainte Thérèse d’Avila (1515-1582), dont on célèbre le 500e anniversaire de naissance avec une nouvelle anthologie traduite par Aline Schulman et un essai biographique de Christiane Rancé, ne s’intéressait guère aux pauvres, ils lui répugnaient presque.
Férue de lectures de romans de chevalerie, la jeune Teresa de Cepeda y Ahumada est fière d’appartenir à une famille d’hidalgos. En vérité, sa mère est de vieille souche catholique et son père est un converso, un converti, fils d’un riche drapier de Tolède d’origine juive. Non seulement Thérèse est jolie, mais son verbe enchante, elle séduit. Son père a peur pour son honneur. Il l’envoie au couvent, l’en sort à la suite d’une paralysie des membres qui la cloue au lit pendant trois ans.
Guérie, Thérèse prend définitivement le voile, elle a 22 ans. C’est à nouveau la vanité d’antan : à l’époque, les couvents sont ouverts, et les moniales bien nées ont des servantes. La « conversion » ne viendra qu’à la veille de ses 39 ans. C’est le début d’une foi véritable. Et un destin hors du commun : « En cela, Thérèse, écrit la journaliste et essayiste Christiane Rancé dans La Passion de Thérèse d’Avila, est un don Juan au féminin, un don Quichotte sans bouffonnerie et un Cortès sans massacre. »
Tant d’extase
A la fois mystique, puisant dans les ressources de l’oraison, et pragmatique pionnière de Dieu, la réformatrice du Carmel, malgré une santé fragile, brave la poussière des chemins pour fonder des couvents. Visions, lévitations, union mystique avec Jésus, c’est une auteure prolixe qui, sur l’ordre de ses confesseurs, consigne ses expériences spirituelles pour les faire valider par une Inquisition qui voit d’un mauvais œil tant d’extase.
Canonisée dès 1622, et première femme à être déclarée « docteur de l’Eglise » par Paul VI, en 1970, Thérèse d’Avila n’a cessé pas de fasciner artistes et écrivains : Le Bernin, Verlaine, Yourcenar, Cioran…
Julia Kristeva, auteure de Thérèse mon amour (Fayard, 2008), signe une préface à l’anthologie établie et traduite par Aline Schulman, Les Chemins de la perfection, qui réunit cinq œuvres principales de la Madre. Cette traduction sobre restitue toute l’audace incisive de l’écriture originale.
La préfacière, psychanalyste et écrivaine, athée, loue « le style thérésien (…) intrinsèquement ancré dans les images, elles-mêmes destinées à transmettre ces visions qui ne relèvent de la vue (ou du moins pas seulement), mais habitent le corps-et-l’esprit tout entier, le psyché-soma ». Dieu est en elle, « la transcendance selon Thérèse se révèle aussi immanente ».
Christiane Rancé, dans La Passion de Thérèse d’Avila, portrait quasi charnel de la sainte autant que réflexion de croyante, ne dit pas autre chose, en termes chrétiens : « Thérèse préfère l’exaltation, tout évangélique, de la splendeur du corps, considéré comme le tabernacle du Christ. Ce corps qui pour Platon, que le XVIe siècle a redécouvert et remis à l’honneur, n’est que le tombeau de l’âme, est pour Thérèse le centre le plus bouleversant du christianisme : l’Incarnation. » Mariage du sens et du sensible qui nous interpelle encore aujourd’hui : entre la carmélite et notre époque, ce n’est pas un dialogue de sourds.
La Passion de Thérèse d’Avila, de Christiane Rancé, Albin Michel, 304 p.,
Les Chemins de la perfection, de Thérèse d’Avila, anthologie établie et traduite de l’espagnol par Aline Schulman, préface par Julia Kristeva, Fayard, 340 p.,
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