Enfiler un préservatif sur une banane, regarder un dessin animé sur la reproduction chez les humains, ou bien suivre un exposé sur les bienfaits de la pilule… Voilà qui ne suffit plus, selon le sexologue danois Christian Graugaard. Les temps ont changé. Ce n’est plus en jouant au docteur sous la couette un après-midi pluvieux, ou en lisant un magazine érotique acheté en cachette au bureau de tabac, que les petits Danois découvrent le sexe. Mais sur Internet, où quasiment tous les garçons de 13 ans et plus de 80% des filles ont consulté des sites pornos.
Christian Graugaard, professeur à l’université d’Aalborg, propose donc de saisir le taureau par les cornes, en introduisant la pornographie dans les cours d’éducation sexuelle à partir du collège.«En parler pour éviter la confusion, dit-il. La pornographie et même la littérature érotique sont d’excellents véhicules pour mener une discussion critique sur les différences entre la fiction et la réalité et sur le traitement par les médias commerciaux de la sexualité, des genres et des corps.»
Sensibilisation. A condition, bien sûr, que les enseignants soient correctement formés, car «malheureusement, on a tendance à croire que n’importe qui, pourvu de poils pubiens, est capable d’enseigner les questions touchant à la sexualité». L’objectif, précise le sexologue, est de faire des ados «des consommateurs critiques et conscients», afin que les jeunes «ne se laissent pas abuser par les corps parfaits photoshopés, exposés dans les médias». Plusieurs établissements scolaires ont déjà franchi le pas. Christian Graugaard prône une généralisation. Pas forcément en visionnant des films. Mais en ouvrant le dialogue, en montrant des images. Parents et enseignants y sont, d’ailleurs, favorables, assure Christian Graugaard : sa proposition, présentée lors d’une émission sur la chaîne de télévision publique DRK, n’a soulevé aucune controverse au Danemark.
Les cours d’éducation sexuelle y sont obligatoires depuis 1970, et ils commencent dès le CP. «Il s’agit d’apprendre à connaître son corps, à le respecter et à en prendre soin. La sexualité vient plus tard», précise Bjarne B. Christensen, secrétaire général de l’ONG Sex og Samfund («Sexe et société»), qui organise chaque année une semaine de sensibilisation dans les écoles du royaume. Cette année, 350 000 élèves ont participé à «Uge sex» (jeu de mot sur «semaine six», durant laquelle la campagne a lieu, et «semaine sexe»). Et les résultats sont là : «Le Danemark est un des pays où les taux de grossesses précoces et d’avortements des adolescentes sont parmi les plus faibles au monde», assure Bjarne B. Christensen.
En Suède, où l’éducation sexuelle est obligatoire depuis 1956, l’actrice porno Sanna Rough a repris l’idée à son compte. Introduire la pornographie à l’école permettrait, selon elle, de «déculpabiliser les ados qui passent du temps sur Internet». C’est aussi un moyen d’enrichir l’enseignement, pour qu’il dépasse «la position du missionnaire entre un homme et une femme».
PUritanisme. Responsable des programmes éducatifs à l’Association suédoise pour l’éducation sexuelle (RFSU), Hans Olsson reconnaît que les cours «sont encore trop souvent consacrés à la biologie et la reproduction». Lui aussi serait favorable à une discussion sur la pornographie, ne serait-ce que pour contredire«l’image monotone qu’elle donne de l’homme et de la femme» - ce qui est, après tout, «la tâche de l’école». Et si un tel débat risque de renforcer l’image permissive des pays scandinaves à l’étranger, Christian Graugaard tempère : «Si nous avons été les premiers à décriminaliser le porno et l’avortement, ou à introduire l’éducation sexuelle obligatoire et le mariage gay, le puritanisme guette en arrière-plan.» Petter Bragée, directeur des programmes pour enfants sur la chaîne suédoise SVT, confirme : «Nous voyons les mêmes tendances que dans d’autres pays, notamment aux Etats-Unis.»
«Questions». En début d’année, un clip tiré d’une émission produite par la chaîne, consacrée «au zizi et à la zézette» («snoppen och snippan»), a fait un tabac sur YouTube, avec plus de 5,8 millions de consultations. «Nous avions reçu énormément de questions d’enfants, et nous voulions les aider à trouver des mots, pour qu’il n’y ait pas de tabou, qu’ils puissent dire quand ils ont mal, ou dénoncer d’éventuelles violences», explique le directeur des programmes. Mais si la majorité des réactions ont été positives, la chaîne a aussi fait l’objet de critiques, certains y voyant une tentative de dévoiement des jeunes téléspectateurs.
Par Anne-Françoise Hivert Correspondante en Scandinavie