LE MONDE | | Par Franck Nouchi
Lorsque, au début des années 1930, fut édifiée la cité de la Muette, à Drancy (Seine-Saint-Denis), personne n’imaginait que ces logements sociaux seraient réquisitionnés quelques années plus tard par l’armée allemande, les transformant en camp d’internement et de transit. Une « antichambre de la mort » où près de 80 000 juifs furent internés avant d’être envoyés, pour la majorité, vers les camps d’extermination nazis.
Soixante-dix ans après la fin de la seconde guerre mondiale, la cité de la Muette existe toujours. Conservée à l’identique, « réhabilitée » en logements sociaux, cette cité HLM héberge près de 500 locataires. Pourquoi ne pas avoir transformé ce lieu de sinistre mémoire en un lieu de recueillement ? En musée ?
Réalisatrice de documentaires, Sabrina Van Tassel a voulu comprendre le sort réservé à cette cité dont même le nom évoque l’idée de taire son histoire. Comme si ces murs n’avaient pas de mémoire. Conseillée par Serge Klarsfeld, dont le père fut interné à Drancy, en octobre 1943, avant d’être déporté à Auschwitz-Birkenau, la réalisatrice livre un film bouleversant et passionnant.
Témoignages de rescapés
Ne serait-ce que pour les témoignages de rescapés, La Cité muette (en salles, mercredi 13 mai) doit être vu. Ces hommes et ces femmes se souviennent : des rafles commises par des gendarmes français ; des gens qui, sur leur passage, criaient « sales juifs ! » ; de l’arrivée au camp, de la faim, de la peur, des gendarmes devenus geôliers…
Moyennant finances, des lettres sortaient du camp : « Ma chère femme chérie, c’est aujourd’hui mon dernier jour à Drancy… » Demain, ce serait le départ vers « Pitchipoï », surnom désignant une destination inconnue. « C’était la première fois depuis la Saint-Barthélemy qu’on s’attaquait aux enfants », note Serge Klarsfeld.
Aujourd’hui, des enfants jouent sur les pelouses de la cité, là même où d’autres connurent l’abandon et la faim avant d’être emmenés vers les chambres à gaz. Une femme se demande si elle va continuer à habiter son petit appartement au loyer si faible. Sous les peintures, à même les murs, doivent toujours exister des graffitis témoignant de la détresse de ces hommes, ces femmes et enfants, dont le seul tort fut d’être nés juifs. Peut-on vivre dans un lieu hanté ?
« Un lieu maudit et sacré »
Jusqu’au discours de Jacques Chirac sur la responsabilité de la France dans la déportation de 76 000 juifs, le 16 juillet 1995, Drancy fut ignorée par la République. Dix-sept ans plus tard, le 21 septembre 2012, pour la première fois, un président de la République y fit le voyage. Face à la cité de la Muette, un mémorial fut inauguré par François Hollande. Enfin !
Mais qui donc peut bien vivre ici ?, s’est demandée Sabrina Van Tassel avant d’aller à la rencontre des habitants. Des personnes âgées, des jeunes gens, mais aussi d’anciens sans-domicile-fixe et des personnes souffrant de troubles mentaux, anciens patients de l’hôpital psychiatrique de Ville-Evrard. D’anciens internés, en somme. Des personnes parmi les plus vulnérables qui trouvent refuge à Drancy, au passé si lourd.
Vivre à Drancy ? Les uns sont contre, farouchement ; d’autres semblent s’y être résignés. Après tout, dit Serge Klarsfeld, ne vit-on pas place de la Concorde ou place de l’Hôtel-de-Ville, là même où, dans l’Histoire, le sang coula à flots ? «
Pour nous, ajoute-t-il, fils et filles de déportés (…), Drancy est un lieu à la fois maudit et sacré. En conséquence, il doit impérativement être préservé pour témoigner du rôle criminel qu’il a joué dans l’Histoire et parce que ses murs ont vu les derniers moments en France des êtres qui nous étaient les plus chers. Ce que représente Drancy est trop important pour que cet immense bâtiment disparaisse. »
Mais de là à y habiter ? A y vivre ? Après avoir livré les clés de cette question essentielle, le film laisse le spectateur en juger.
Documentaire français de Sabrina Van Tassel (1 h 28). Sur le Web : www.distribfilms.com/fr/la-cite-muette
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