Certains enfants nous disent : à quoi ça sert d’apprendre ? Plus tard, je serai chômeur… » C’est l’un des témoignages d’enseignants que reprend Jean-Paul Delahaye, inspecteur général de l’éducation nationale, dans son rapport « Grande pauvreté et réussite scolaire » révélé mardi 12 mai – une sorte de testament pour celui qui fut directeur général de l’enseignement scolaire du temps de Vincent Peillon, le bras droit de l’ex-ministre de l’éducation. En pleine remise en cause des réformes du collège et des programmes, ce rapport arrive comme un rappel : c’est d’abord pour les élèves les plus fragiles, dont le nombre n’a cessé de croître avec la crise, que la « refondation » de l’école a été engagée.
L’une des grandes qualités de ce rapport, rédigé après enquête dans dix académies et audition de plus de 120 personnes, est de donner la parole aux équipes enseignantes. Les premières, très souvent, à identifier l’état de grande précarité dans lequel vivent en France quelque 1,2 million d’enfants. Ce sont des indices que les enseignants guettent : le manque de vêtements, les problèmes d’hygiène, des factures de restauration scolaire impayées, les fournitures qui manquent… Il y aussi la faim : ces enfants qui se jettent sur le pain à la cantine. L’état de somnolence, de grande fatigue. La résurgence de la gale, la tuberculose…
A travers ces paroles d’enseignants, directeurs et autres médecins scolaires, c’est l’aggravation de la détresse sociale au sein de l’école qui se trouve dénoncée. Le montant dramatiquement insuffisant des bourses – pas toujours perçues par ceux qui en ont le plus besoin. Les économies faites sur les « fonds sociaux » destinés aux élèves pauvres, qui ont été divisés par plus de deux en dix ans. Car le message est aussi politique : comme le montre l’enquête PISA réalisée par l’OCDE, dans le système français, l’origine sociale pèse, plus que nulle part ailleurs, sur les destins scolaires.
« Trier et sélectionner »
Si tout n’est pas imputable à l’école, celle-ci a sa part de sa responsabilité. « L’échec scolaire des plus pauvres n’est pas un accident. Il est inhérent à un système qui a globalement conservé la structure et l’organisation adaptées à la mission qui lui a été assignée à l’origine : trier et sélectionner », relève M. Delahaye. Un système qui peine à mettre de côté ses réflexes et objectifs originels. Les débats sur la réforme du collège, la crainte d’un « nivellement par le bas » sont venus le rappeler : alors que le devenir des latinistes ou des germanistes a su mobiliser bien au-delà des cercles d’enseignants, le devenir des élèves allophones, roms, sans domicile peine à trouver ses défenseurs. Cette possible « préférence collective pour l’inégalité », M. Delahaye l’interroge, appelant à « dépasser la contradiction entre le besoin de solidarité à l’égard des plus faibles et le mouvement de repli ».
Parmi les 68 préconisations du rapport – dont certaines rejoignent celles que le Conseil économique, social et environnemental (CESE) doit lui aussi annoncer mardi –, beaucoup de bon sens. Mieux former les personnels, coopérer entre enseignants, ouvrir l’école aux parents, promouvoir l’inclusion en résistant à la « tentation de la séparation », être bienveillant sans renoncer aux exigences scolaires parce qu’il ne s’agit pas de traiter les enfants pauvres comme de « pauvres élèves »…
D’autres vont plus loin que les changements déjà mis en chantier par la gauche, en invitant par exemple à mettre à l’étude des « mesures exceptionnelles » pour stabiliser les équipes dans l’éducation prioritaire, en allant au-delà de ce que prévoient les nouveaux réseaux d’éducation prioritaire.
L’un des paradoxes de ce rapport est de rappeler que les équipes savent, sur le terrain, comment bien accueillir ces enfants, quels leviers actionner pour les faire progresser. « Au possible, nous sommes donc tenus », conclut M. Delahaye. A condition de savoir identifier – et tenir – la priorité.
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