A 7 ans et demi, Noémie a des seins de la taille d’une clémentine, des poils pubiens, et pose sans cesse des questions à sa maman. Dans la cour – elle est en CE1 –, les autres enfants se moquent souvent d’elle. Noémie présente des signes précoces de puberté. « Les consultations pour ce motif sont de plus en plus fréquentes », alerte le docteur Patricia Bartaire, présidente de l’Association française des pédiatres endocrinologues libéraux, qui vient de lancer avec l’Association française de pédiatrie ambulatoire un appel à mieux informer face à ce « phénomène encore trop souvent méconnu ». « Nous sommes confrontés à une véritable épidémie de puberté précoce », affirme le professeur Charles Sultan, chef du service d’endocrinologie pédiatrique au CHU de Montpellier et chercheur à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale, qui suit cette question depuis une vingtaine d’années.
Que veut dire puberté précoce ? Alors que la première manifestation de la puberté survient en général entre 9 et 12 ans chez les filles, avec le développement des seins, et entre 11 et 13 ans chez les garçons, avec l’augmentation du volume des testicules, on parle de puberté précoce quand le développement des caractères sexuels secondaires (seins, poils) survient avant l’âge de 8 ans chez une fille, et du volume des testicules avant 9 ans pour les garçons. La survenue de ces signes avant 6 ans est plus rare, bien que « le développement prématuré de la glande mammaire s’observe de plus en plus chez des filles entre 3 et 7 ans », indique le professeur Sultan – qui a même reçu dans son service une fillette de 4 mois avec des seins de la taille d’une orange.
« Des études épidémiologiques montrent un développement prématuré précoce de la glande mammaire, d’au moins un an voire deux », indique le professeur Sultan. Ce constat fait l’objet d’un large consensus. En 2008, un panel d’experts réunis par l’agence de protection de l’environnement et par l’académie des sciences américaines avait analysé les données disponibles pour les Etats-Unis entre 1940 et 1994 et avait conclu sans ambiguïté, dans un article publié par la revue Pediatrics à la réalité et à l’ampleur du phénomène. Depuis, d’autres études épidémiologiques ont confirmé cette tendance.
Comment mesurer l’évolution de la puberté précoce en France, où les données sont inexistantes ? Un système de surveillance a été lancé il y a peu par l’Institut national de veille sanitaire (InVS), qui a retenu comme indicateur les « remboursements de médicaments ». Le taux d’incidence de puberté précoce idiopathique chez les filles de 0 à 9 ans est de 2,68/10 000/an modélisé et moyenné sur trois années, de 2011 à 2013. Le nombre de cas observés est de 1 173/an. Pour les garçons de 0 à 10 ans, il est de 0,28/10 000/an, soit 117 cas/an. Des comparaisons devraient être possibles dans quelques mois. L’âge de la survenue des règles, lui, semble stable depuis une vingtaine d’années, autour de 12,6 ans, mais il a considérablement baissé au cours du XXe siècle.
« Nous nous donnons souvent un peu de temps, afin de vérifier si le développement du mamelon reste isolé (prémature thélarche) ou s’il va être régressif (sorte de bouffée pubertaire) ou bien s’il s’agit d’une véritable puberté évolutive, avec l’apparition de la pilosité, une accélération de la croissance, etc. », indique le docteur Olivier Puel, qui exerce en libéral et en endocrinologie pédiatrique au CHU de Bordeaux. La question est ensuite de savoir s’il faut traiter, « le but étant d’éviter que les règles se produisent avant l’entrée au collège », précise le docteur Puel. Les traitements médicamenteux utilisés freinent la sécrétion des hormones hypophysaires et, du coup, l’évolution des signes pubertaires est stoppée.
A quoi tient l’avancement global de l’entrée en puberté des filles ? Aux Etats-Unis, des différences de plus d’un an liées aux facteurs génétiques et ethniques ont été montrées. Mais c’est surtout l’influence de l’environnement qui est suspectée. « Il faut informer les parents sur la responsabilité très probable de facteurs environnementaux, notamment contrôler le poids de l’enfant en limitant fortement les apports en sucres rapides et en augmentant l’activité physique, et en limitant l’exposition de l’enfant aux perturbateurs endocriniens », souligne Patricia Bartaire.
Les perturbateurs endocriniens, ces substances chimiques omniprésentes – dans les pesticides, les plastiques, les cosmétiques, etc. – font figure de principaux suspects. « Nous avons été impressionnés par le fait que les cas de puberté précoce étaient bien plus fréquents chez les enfants immigrés venant d’Asie, d’Afrique ou d’Amérique du Sud, explique Jean-Pierre Bourguignon, professeur au CHU de Liège et spécialiste des liens entre puberté et perturbation endocrinienne. Et il s’est avéré que l’une des raisons à cela est que certaines de ces régions sont infestées par le paludisme et que le DDT, utilisé pour lutter contre les moustiques vecteurs de la maladie, a des propriétés oestrogéniques et favorise les mécanismes qui déclenchent la puberté. »
« Parmi vingt prématures thélarches que nous venons d’étudier, onze petites filles ont des parents dont la profession était en lien avec des perturbateurs endocriniens », explique de son côté le professeur Sultan. Leur activité oestrogénique était quatre à cinq fois supérieure à celle des petites filles « normales ». L’un des cas les plus frappants a été publié en 2012 par l’endocrinologue montpelliérain dans Gynecological Endocrinology : celui de cette petite fille âgée de 4 mois, issue d’une famille d’agriculteurs, présentant des signes de puberté (menstruation, développement des glandes mammaires et de l’utérus). Des traces de pesticides avaient été retrouvées chez le père, la mère et la petite fille.
La suspicion qui se concentre sur les perturbateurs endocriniens n’est pas surprenante. De nombreuses études menées sur l’animal montrent en effet que l’exposition, à de faibles concentrations, de certaines de ces molécules, in utero ou dans la période périnatale, conduit, entre autres, à une maturation plus rapide de la glande mammaire. Autre indice de leur implication : une puberté précoce peut être corrélée chez les humains à un risque accru de cancers hormono-dépendants (sein, utérus), de troubles du métabolisme des graisses, voire d’asthme. Autant de pathologies également observées sur les animaux de laboratoire exposés, pendant les périodes-clés du développement, à des perturbateurs endocriniens. « Les perturbateurs endocriniens ont un impact sur l’obésité, le métabolisme, le système nerveux, l’identité sexuelle, l’émergence de cancers, dit le professeur Sultan. Il faut agir, sinon nous courons à la catastrophe. »
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