L'EPS Ville-Évrard lance la création d'une plateforme de recherche en santé mentale et handicap psychique en Île-de-France. Elle vise à permettre aux professionnels de terrain des secteurs sanitaire, médico-social et social de collaborer avec des équipes de chercheurs, pour transformer leurs questionnements professionnels en projet de recherche.
Hospimedia : "Vous supervisez actuellement le processus de création d'une plateforme de recherche en santé mentale et handicap psychique dans la région Île-de-France. À quels besoins ce projet répond-t-il ?
Alain Leplege : En tant que membre du conseil scientifique de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA), j'ai constaté que les projets de recherche dans ce domaine présentent des défauts. En évaluant les compte-rendus de recherche, on s'aperçoit que leur qualité méthodologique reste insuffisante. Il y a donc un besoin d'aide dans ce domaine. Ainsi, la plateforme a vocation à porter les projets ou simplement les accueillir dans un cadre de travail. Problématiser, organiser une équipe, rédiger un projet de recherche, un protocole, le mettre en œuvre, analyser les résultats et publier, autant d'étapes auxquelles nous pourrons apporter notre soutien car cette séquence est souvent mal exécutée. La structure mettra en rapport l'ensemble des acteurs pour leur permettre de travailler ensemble dans un environnement stable et régulier. Et les relations d'égal à égal entre les partenaires garantissent une vraie collaboration. Chacun doit y trouver son intérêt. Quand une thématique remonte du terrain nous ferons la translation vers la recherche et vice versa. Il est essentiel que les conclusions établies par les laboratoires retournent ensuite vers les pratiques. Même si le temps de la recherche est plus long que celui de l'action.
"Problématiser, organiser une équipe, rédiger un projet de recherche, un protocole, le mettre en œuvre, analyser les résultats et publier, autant d'étapes auxquelles nous pourrons apporter notre soutien."
H. : Vous soulignez les besoins en formation et en recherche sur les problèmes sociaux liés au handicap et aux troubles psychiatriques. Pourtant les professionnels de terrain peuvent avoir des difficultés à mettre en place ces projets. Comment la plateforme pourra les aider ?
A.L. : Les professionnels de terrain ont les idées mais ne savent pas toujours comment monter de tels projets de recherche. Ce n'est ni leur métier ni leur formation. Ils font face à des situations concrètes et tentent de les résoudre du mieux qu'ils peuvent en s'appuyant sur les moyens à leur disposition et en échangeant avec leurs collègues. Les demandes de recherche sont nombreuses sur les questions de prise en charge notamment. On pourrait par exemple s'interroger sur la prise en charge des personnes atteintes de troubles graves du comportement dans le cadre d'un parcours de soin ordinaire, comme un rendez-vous chez le dentiste. Il y a des besoins dans ce qu'on appelle les recherches en services de santé,health service research en anglais. Mais il y a peu de littérature et de référentiel en la matière. Ce sont plutôt des retours d'expériences, des habitudes professionnelles ou des arguments d'autorité, auxquels manquent des études rigoureusement menées. Les chercheurs sont dans les universités, dans les laboratoires mais le lien avec les professionnels sur le terrain reste insuffisant. C'est à ce problème que la fédération du Nord-Pas-de-Calais a entrepris de répondre dans le domaine sanitaire. Pour notre part, nous voulons aussi lui associer les secteurs médico-social et social.
"Les chercheurs sont dans les universités, dans les laboratoires mais le lien avec les professionnels sur le terrain reste insuffisant."
H. : Ce projet est né au sein de l'EPS Ville-Évrard de Neuilly-sur-Marne (Seine-Saint-Denis). Comment avance le processus de création ?
A.L. : Tout a commencé par la création en juin 2014 d'une unité de recherche en santé mentale et handicap psychique (URSM-HP) au sein de l'EPS de Ville-Évrard de Neuilly-sur-Marne. Sa mission principale est de porter le développement de la plateforme de recherche en santé mentale et handicap psychique (PRSM-HP). La première étape a été d'identifier les partenaires potentiels dans les différents secteurs. Ce tour de table s'est achevé en décembre. Le projet a également été présenté à l'ARS Île-de-France. Les premiers partenaires pourront être considérés comme les membres fondateurs, d'autres ensuite viendront s'agréger à la structure qui restera ouverte. La deuxième étape consiste en la rédaction et signature des conventions. Les documents de travail en cours de préparation seront présentés lors d'une réunion en mars, discutés et examinés par chaque partenaire selon un système de navettes. Il faut que chacun s'approprie le projet. En plus, nous avons toutes les compétences autour de la table. Nous avons l'ambition de porter des valeurs de coopération, de respect et d'égalité entre les partenaires avec une exigence qualitative en matière de recherche.
"Nous avons l'ambition de porter des valeurs de coopération, de respect et d'égalité entre les partenaires avec une exigence qualitative en matière de recherche."
H. : Vous avez fait le choix de rassembler les acteurs de trois secteurs différents : le sanitaire, le médico-social et le social dans une région qui en compte beaucoup. Dans quel périmètre devra agir la nouvelle plateforme ?
A.L. : Si notre horizon est régional, ce que souhaite d'ailleurs l'ARS, notre intention n'est pas de rassembler tous les acteurs de manière exhaustive. Notre point de départ se situe à l'hôpital de Ville-Évrard associé à ses partenaires "naturels" dans les trois secteurs. Les discussions sont en cours avec d'autres partenaires potentiels, services sociaux du conseil général, associations locales et nationales, structures hospitalières dans le département de la Seine-Saint-Denis et quelques autres dans le Val-de-Marne, à Paris… Une réunion est prévue le 12 mars, où les premiers engagements devraient être pris. Cette multiplicité des acteurs complique le processus car leurs statuts peuvent être très différents : fonction publique territoriale, fonction publique hospitalière, milieu associatif, milieu universitaire, fonction publique centrale d'État. Toutes ces cultures professionnelles différentes, c'est un challenge pour notre projet. Il s'agit de parvenir à les faire travailler tous ensemble. Notre structure a vocation à être transversale. Les documents qui sont en train d'être finalisés ont été adaptés à partir de ceux de la fédération du Nord-Pas-de-Calais.
"Toutes ces cultures professionnelles différentes, c'est un challenge pour notre projet. Il s'agit de parvenir à les faire travailler tous ensemble. Notre structure a vocation à être transversale."
H. : D'un point de vue structurel, quelle forme envisagez-vous de donner à cette nouvelle plateforme ?
A.L. : La plateforme prendra la forme d'un groupement d'intérêt public (GIP). Le conseil d'administration aura pour rôle de valider le rapport d'activité, le budget, accepter les nouveaux partenaires. Indépendante, une instance scientifique, composée de praticiens et de professionnels sera chargée de discuter des projets de recherche, de décider de s'engager collectivement sur un projet, constituer des groupes de travail qui les porteront et demander des financements. En la matière, le problème n'est pas la disponibilité des financements dont les sources sont multiples mais le nombre de projets de bonne qualité à pouvoir en bénéficier. Répondre à un appel à projet, faire un budget qui soit crédible, frapper à la bonne porte, c'est un réel savoir-faire.
H. : Comment va-t-elle être financée ?
A.L. : Le financement de la plateforme pourrait venir d'un pourcentage prélevé sur le budget de recherche. En plus des frais de recherche, ceux de gestion sont en général de l'ordre de 5% et les frais prélevés par les structures porteuses comme les laboratoires ou les universités peuvent varier entre 10 et 15%. Personne y compris les financeurs ne se formalisent de cette situation à partir du moment où elle est incluse dans le budget de départ. L'autre proposition pour financer la plateforme, c'est ce que fait le Nord-Pas-de-Calais, demander une cotisation en fonction de la taille des structures partenaires, sous forme financière ou par mise à disposition de personnes ou de locaux. Tous ces détails sont encore devant nous et restent à résoudre.
H. : Le processus se poursuit en ce moment. Quelles sont les échéances à venir ?
A.L. : Dès que les documents structurants comme la convention constitutive et les règlements intérieurs seront signés, en juin prochain je l'espère, nous commencerons à travailler à partir de la rentrée de septembre. Des bilans d'activité auront lieu chaque année. Ensuite, l'analyse de la production scientifique permettra d'évaluer notre travail. Notre objectif est de produire des études publiées dans des revues exigeantes et internationales et pas simplement des rapports d'activité. Nous allons aussi jouer un rôle d'animation, de médiation, de lien entre les équipes, d'organisation de séminaires. J'espère des retombées immédiates sur la qualité des services rendus et des soins."
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