Dans un monde déserté par l’espérance politique, disait le philosophe Michel Foucault, seul demeure un certain langage de la folie, qui trace « la limite forestière de notre littérature ». Noémie Lefebvre s’y tient, à cette folle lisière. D’une plume admirable, elle en fait l’espace d’une déraison et d’une liberté. Dans L’Enfance politique (Verticales, 176 p., 19 €), son troisième roman, ressurgissent les corvées de bois de la guerre d’Algérie, mais aussi la forêt où le Petit Poucet est abandonné et, enfin, la « démence des montagnes » qui vous aspire pour de bon. Au milieu de ces forêts où nous nous perdons avec un effroi enchanté, l’auteure place un marais de fureur, ou plutôt une mère de haine.
Martine, le personnage principal, sort de l’hôpital psychiatrique et habite chez cette mauvaise mère.
Fragile et dévastatrice, allumeuse et dévote, celle-ci aime les gens. Elle vit pour les aider. Pendue au téléphone avec ses protégés, elle n’entend pas son enfant, qu’elle étouffe sous le poids d’une culpabilité débordante. Cette femme a eu une fille. Elle l’a bien eue, même. « On dirait que ma mère, si je vais mal, elle va bien »… « Ma mère, c’est ma mère. Elle m’a donné la vie et empêché de vivre », résume la narratrice. Autrefois douée d’une existence sociale et même d’une « conscience collective », Martine se trouve aujourd’hui seule, sans désir ni faculté de juger. « Allongée sans rien faire dans l’abandon de ma mère », dit-elle avec cette manière enfantine et ravageuse de ramasser sa conscience. Elle reste là, traversée par le flux des épisodes de sa vie (une série télé parmi d’autres, une énième tentative d’en finir…) et la mémoire des grands événements (l’Algérie, donc, mais aussi Vichy ou la guerre froide). Intimes ou historiques, tous ces moments sont politiques : ils inscrivent, à même les corps, le déferlement d’une violence inhumaine mais légitime. « J’étais comme qui dirait à l’état ruiné d’une forêt tropicale. J’avais des cris de sauvage, dans l’état où j’étais, de jungle tropicale au milieu de mes ruines », écrit Noémie Lefebvre dans ce roman dont l’écriture ciselée, et souvent caustique, fait vaciller la langue et ébranle nos vies.
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