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vendredi 9 janvier 2015

Dr Richard Rechtman : « Un tel attentat renvoie à un sentiment d’impuissance épouvantable »

09/01/2015






Dr Richard Rechtman, directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales. - Crédit photo : AFP
Interrogé au lendemain de l’attentat contre « Charlie Hebdo », le psychiatre et anthropologue Richard Rechtman, directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS), analyse l’impact de ces événements sur les esprits.
Le Quotidien : Peut-on dire que la société est dans un état de sidération ?
Dr Rechtman : On observe un état d’indignation majeure plutôt que de sidération. La sidération, au sens psychique, empêche de réagir. Au contraire, depuis l’attentat, il n’y a aucune paralysie, les gens ont manifesté spontanément ou diffusé des messages sur les réseaux sociaux.
Un attentat comme celui-ci renvoie à un sentiment d’impuissance épouvantable, impuissance à le prévenir, à s’en protéger, à arrêter les auteurs qui partent en cavale. Quand l’impuissance est à ce point forte, cela génère une grande angoisse, ainsi que la nécessité d’agir et de témoigner.
Il y a d’abord une phase d’émotion, avec plus que de l’empathie et de la compassion : une identification assez générale. J’ai reçu des patients en urgence qui sont dans un trouble profond, avec des larmes qui ne sont pas feintes, comme s’ils avaient été atteints littéralement dans leur chair et dans leurs valeurs.
Mais on n’est plus dans le pur émotionnel. Si les Français arrivent à se réunir sur une place, à rester silencieux un certain temps, puis à dire des choses communes, c’est qu’un début de rationalisation apparaît.
Vous parliez de vos patients. Quelles répercussions un tel attentat a-t-il sur les individus ?
Cela dépend des personnes. Celles qui ont connu de près ou de loin des événements similaires ou chargés d’une forte teneur émotionnelle ou traumatique revivent leur propre histoire. Ils n’y « repensent » pas mais subissent une plongée émotionnelle dans quelque chose d’ancien, qui vient entraîner un débordement. Étant spécialisé sur les réfugiés cambodgiens, les quelques-uns que j’ai croisés depuis hier sont replongés dans l’état émotionnel qu’ils ont déjà connu à cause du génocide et qui prend le dessus, sans qu’ils évoquent pour autant leur histoire, le Cambodge.
Chez d’autres, le sentiment d’impuissance suscite l’envie de réagir. Il pourrait même y avoir des réactions individuelles de violence, pour ceux qui vont s’identifier aux victimes ou à l’opposé, aux auteurs. Des personnes enfin qui présentent déjà des troubles peuvent être sous l’effet de la sidération, cliniquement parlant pour le coup.
Quel est le sens des mesures (deuil national, drapeaux en berne, minute de silence) prises par les autorités ?
Elles sont fondamentales pour éviter les mouvements de foule. Grâce à une direction politique, qui indique une manifestation et décide de mettre les drapeaux en berne, l’émotion et la volonté d’agir sont canalisées. Les maîtres mots sont la retenue et la dignité. Ce n’est plus de l’impuissance, c’est une action positive. S’il n’y a rien, le risque de débordements individuels et collectifs augmente.
Quel est l’effet des images qui tournent en boucle sur les chaînes d’informations continues ou sur Internet ? Amplifient-elles l’angoisse ?
La force et le danger des images sont de convaincre chaque camp de ce qu’il sait déjà. Ceux qui s’identifient aux victimes verront des hommes froids, épouvantables, des tueurs, des monstres, tandis que des gens qui sont en sympathie avec l’acte commis vont y voir des figures héroïques et glorieuses.
Le 11 septembre a été suivi par une littérature montrant que les gens qui avaient regardé la télévision risquaient d’être bien plus traumatisés, sur le moment, que ceux qui étaient en dessous des tours. Ces derniers, ne voyant qu’une infime partie de l’événement, n’étaient pas au courant de ce qui se passait alors que les téléspectateurs avaient une vision panoramique, comme au cinéma, et donc bien plus traumatique. Les échelles de stress ont en outre mis en évidence que les gens qui avaient regardé la télévision en boucle étaient beaucoup plus traumatisés que ceux qui n’avaient pas vu les images. Mais deux, trois mois plus tard, il n’y avait pas plus d’états de stress post-traumatique chez les téléspectateurs. L’idée qu’ils auraient été authentiquement et durablement traumatisés à cause de ces images s’est révélée fausse.
En revanche, pour les personnes qui ont déjà des problématiques de stress, notamment post-traumatique, cela peut être beaucoup plus compliqué.
Malgré la similitude en terme d’effroi dans la population, on ne peut cependant pas comparer cet attentat et le 11 septembre. L’attaque contre les Twin towers est un attentat terroriste destiné à faire un maximum de morts anonymes, tandis que l’agression contre « Charlie Hebdo » est une exécution ciblée qui ressemble davantage aux décapitations des journalistes et humanitaires revendiquées par l’État Islamique.
Propos recueillis par Coline Garré

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