LE MONDE SCIENCE ET TECHNO | | Par Sandrine Cabut
Même pas mal. Une fois de plus, cet infatigable militant a réussi à renverser la vapeur. En quelques semaines, Daniel Annequin a sauvé in extremis le Centre national de ressources de lutte contre la douleur (CNRD), qu’il avait fondé en 2002. Ciblant les souffrances provoquées par les soins, cette structure unique en son genre diffuse de la documentation aux professionnels, accompagne leurs pratiques, organise des congrès, mène des études épidémiologiques…
« Le 17 novembre 2014, le ministère de la santé m’annonce par téléphone son souhait de cesser le financement en 2015. Les cinq personnes de l’équipe étaient effondrées », raconte le médecin au regard bleu, dans son bureau de l’hôpital Trousseau (Paris 12e).
En juin 2013, un audit réalisé par une société privée, Alcimed, avait rendu un rapport plutôt défavorable sur le CNRD. « Avec l’APHP (Assistance publique – Hôpitaux de Paris), nous avons répondu point par point aux nombreuses contradictions et inexactitudes du document. Pendant quinze mois, le ministère n’a fait aucun retour », poursuit-il. Jusqu’au fameux coup de fil… A 65 ans, tout juste promu professeur, en attente de nouvelles fonctions dans un grand CHU pédiatrique parisien, en sus de celles qu’il occupe à Trousseau (responsable de l’unité fonctionnelle de lutte contre la douleur, et du Centre de la migraine de l’enfant), Daniel Annequin aurait pu lâcher un peu de lest. Pas son genre. « L’adversité m’a toujours stimulé », sourit, un brin provocateur, ce praticien atypique (anesthésiste et psychiatre), issu d’une famille de militants, engagée à gauche.
Heureux hasard de calendrier, fin novembre 2014, la Société française d’étude et de traitement de la douleur tient justement un congrès à Toulouse. Pour défendre le CNRD, Daniel Annequin monte à la tribune en session plénière. L’information se diffuse dans les couloirs, les médias, sur la page Facebook du centre de ressources. « Décision injuste et intolérable », « aberration »… Des témoignages éloquents de soutien de professionnels et de malades affluent.
Le 8 décembre 2014, le médecin reçoit un texto rassurant : le financement sera maintenu.
Lutter contre la douleur
En 2010 déjà, le docteur Annequin avait démontré ses talents de mobilisateur en volant au secours de l’hôpital Trousseau, où il exerce depuis plus de trente ans. A l’époque, un vaste plan de réorganisation de l’APHP prévoyait un démantèlement de cet établissement pédiatrique, avec le transfert de la plupart de ses services de chirurgie et de médecine vers d’autres hôpitaux pour enfants de la capitale. Fer de lance de la contestation, le médecin organise pétition, réunion publique, manifestation… Le buzz fonctionne, Trousseau est sauvé.
Mais son plus grand combat, c’est la lutte contre la douleur, en particulier celle des enfants. Quand il débute comme anesthésiste, dans les années 1970, c’est la préhistoire dans ce domaine. En ORL, les bébés de moins de 10 kilos sont opérés « sans anesthésie et sans état d’âme », écrit-il dans son livre T’as pas de raison d’avoir mal ! (La Martinière, 2002).
« Les médecins pensent que les nouveau-nés ne ressentent pas de douleur car leur système nerveux n’est pas mature. Et pour les enfants plus grands, on est dans un déni massif. La douleur est même valorisée culturellement, pour ses vertus pédagogiques », résume-t-il.
Quelques rencontres vont lui ouvrir les yeux sur un autre monde. Celle de Stanislas Tomkiewicz d’abord, un pédopsychiatre iconoclaste et humaniste, spécialisé dans les soins aux exclus (polyhandicapés, adolescents délinquants…), qui accueille Daniel Annequin en stage durant son cursus de psychiatrie. « Il a été mon mentor en ce qui concerne le respect de l’enfant et de ses droits », dit-il. C’est aussi auprès du docteur Tomkiewicz qu’il découvre tout l’intérêt des vidéos pour observer et transformer les comportements, un outil qu’il utilisera largement à son tour dans le domaine de la douleur.
En 1986, l’anesthésiste fait une autre rencontre décisive : celle du docteur Annie Gauvain-Piquard, de l’Institut Gustave-Roussy, à Villejuif (Val-de-Marne), qui présente alors ses travaux sur la douleur en cancérologie pédiatrique. « Videos à l’appui, elle nous a montré que des enfants trop sages expriment en réalité une grande souffrance, se souvient Daniel Annequin. C’est une révélation. Je comprends que la douleur, même si elle est subjective, est un vrai sujet de science. »
Le jeune médecin a trouvé sa voie, les petits en souffrance leur meilleur allié.
« Très vite, je l’ai détaché du service d’anesthésie, car il voulait monter un centre de lutte contre la douleur, et il m’avait donné des preuves que quand il avait une idée, il la menait à bien, témoigne le professeur Isabelle Murat, qui fut sa chef de service en anesthésie à partir de 1991. En tant que responsable d’équipe, on voit beaucoup de velléitaires. Daniel, c’est tout le contraire. »
Soulager la douleur liée aux soins
L’exemple du Méopa est emblématique. Dans le bloc du service d’ORL, le docteur Annequin fait volontiers respirer aux enfants ce mélange d’oxygène et de protoxyde d’azote, avant de leur poser une perfusion pour les endormir. Il a en effet repéré que ce gaz hilarant diminue fortement les douleurs de la piqûre.
L’idée germe : pourquoi ne pas le proposer pour soulager des douleurs liées aux soins ? Bénédicte Lombart, alors infirmière en hématologie (elle deviendra plus tard cadre dans l’unité de Daniel Annequin pendant dix ans) n’a rien oublié de cette révolution. « Je me souviens d’un petit garçon avec une leucémie, qui ne supportait plus les soins. En respirant le mélange, il a tout de suite eu moins peur, moins mal. A l’époque, personne n’avait pensé à sortir ce médicament du bloc, c’était audacieux de la part de Daniel. »
Caméra au poing, le docteur Annequin filme les actes de soins sous Méopa pour convaincre ses confrères. Les données, présentées en 1992 devant plus de 1 500 professionnels à l’Unesco, font sensation, et le gaz est vite adopté dans les services d’hématologie pédiatrique. Mais cet engagement ne plaît pas à tout le monde, d’autant qu’il y a un vide juridique sur le statut du produit. En 1996, un syndicat de pharmaciens porte plainte, l’anesthésiste se retrouve avec un inspecteur de police judiciaire dans son bureau.
« Je lui ai montré les videos. C’était un jeune père de famille dont un enfant avait eu une mauvaise expérience de ponction lombaire », relate le médecin. Le Méopa obtient finalement une autorisation des autorités sanitaires. Pour lever le climat de suspicion, l’équipe mène une vaste étude. Les résultats, publiés en 2000 dans la revue Pediatrics, confirment l’innocuité et l’efficacité de ce gaz pour prévenir les douleurs de gestes médicaux…
« Avec une thématique aussi transversale que la douleur, et son militantisme, Daniel Annequin peut agacer, mais il a cette capacité épatante de faire fi des histoires de territoire, et de garder son cap », résume Bénédicte Lombart.
Quelles sont ses autres faits d’armes ? En vrac, la dédiabolisation de la morphine en pédiatrie ; la création de l’association Pédiadol, avec une base de données sur les douleurs de l’enfant (sur Minitel dès 1989 et désormais sur Internet) ; une participation active au deuxième plan national de lutte contre la douleur (2002-2005) ; la création, à Trousseau, en 2002, d’un Centre de la migraine de l’enfant.
A l’âge de la retraite, le professeur Annequin (premier en France à obtenir ce poste en spécialité « douleur de l’enfant ») vient de rempiler pour trois ans. Dans ses projets : publier davantage, développer l’usage du Méopa à domicile… Et dès la retraite, « s’investir pleinement » dans un projet de Fondation douleur enfant. « On pourrait sûrement la booster en l’annonçant dans le portrait… » propose-t-il. C’est fait.
Le combat contre la douleur n’aura aucun répit.
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