DEMAIN
La prédiction morphologique à partir de l’ADN progresse. Et pose des problèmes éthiques.
L’arrêt numéro 3280 de la Cour de cassation rendu le 25 juin n’a pas soulevé de polémique. Pourtant, il pourrait faire jurisprudence et ouvrir la voie à de nouvelles pratiques en matière d’identification et de fichage. Jugez plutôt. Dans une affaire de viols aggravés, les traces biologiques relevées sur deux victimes n’ont pas permis l’identification de l’auteur par ses empreintes génétiques. Le juge d’instruction a ordonné une nouvelle expertise pour révéler ses «caractères morphologiques apparents»… En clair, essayer de tirer le portrait du violeur présumé. Une première en France.
Les traces d’ADN (cheveux, sang, sperme ou cellules de contact) et les prélèvements de salive permettent en effet de livrer un «code-barres personnel» sur la base de 18 marqueurs. Or les profils génétiques de plus de 2,5 millions de personnes, non identifiées, mises en cause ou condamnées, sont conservés par le Fichier national automatisé des empreintes génétiques (FNAEG). Lors de la création de ce dernier, en 1998, le législateur a autorisé l’utilisation de ces marqueurs en vertu du fait qu’ils sont considérés «non codants» donc neutres, tout en étant utiles pour faciliter l’identification des auteurs d’infraction.
Verrou. Or, il est avéré que des «microsatellites» de ces marqueurs apportent des informations sur certains attributs morphologiques, médicaux ou d’origine géographique. Mais, officiellement, les tests génétiques «portraiturants» sont illégaux. En passant de l’identification à la reconnaissance, la Cour de cassation fait donc sauter ce verrou. Elle estime que les articles du code civil et du code de procédure pénale relatifs à l’utilisation du matériel génétique et au respect du corps humain ne constituent pas un obstacle, puisque le matériel biologique étudié «s’est naturellement détaché du corps humain».«Nous sommes le premier laboratoire à réaliser cette analyse, mais c’est une pratique qui va se généraliser», promet le professeur Christian Doutremepuich, directeur du laboratoire d’hématologie médico-légale de Bordeaux, qui procède à cette expertise inédite. «C’est une aide à l’enquête qui vient compléter les premiers examens et qui permet de réduire le cercle des recherches, lorsqu’aucun recoupement avec le FNAEG n’a pu être fait.»
En Europe, plusieurs laboratoires travaillent aussi à cette technique et les Pays-Bas ont déjà voté une loi réglementant la prédiction morphologique à partir de l’ADN. D’après Catherine Bourgain, généticienne et présidente de la fondation Sciences citoyennes, et Pierre Darlu, spécialiste de génétique des populations au CNRS, coauteurs de ADN, superstar ou superflic(Seuil), l’étude des marqueurs du polymorphisme d’un seul nucléotide (en anglais single nucleotide polymorphism, SNP) peut distinguer les types caucasiens des asiatiques ou des africains, les yeux bruns des clairs, avec un fort pourcentage de précision, sauf en cas de métissage. Mais leur pouvoir prédictif est faible concernant les largeurs nasale et bizygomatique. «La forme du visage est liée à des interactions complexes et à son environnement, elle ne peut pas se lire dans les gènes. Quant aux cheveux, ils changent naturellement et artificiellement de couleur», souligne la généticienne. Les auteurs font aussi remarquer qu’«il n’est pas acquis que la prédiction atteigne des niveaux suffisants d’exactitude pour éviter toute fausse piste. […] Dans tous les cas, les diagnostics génétiques n’offrent que des probabilités et non des certitudes comme l’exige la justice.»
Consortium. Doutremepuich lui, y croit. «La technique est en développement, elle va s’affiner, objecte-t-il. Et d’ici deux ou trois ans, on aura le portrait d’une personne grâce à son ADN !» Aux Etats-Unis, l’université Park de Pennsylvanie est déjà sur le coup. L’anthropologue américain Mark Shriver a annoncé en mars la mise au point d’un logiciel de modélisation prédictive du visage à partir d’un échantillon d’ADN. Pour y parvenir, il a croisé les données morphologiques des visages de 592 personnes aux Etats-Unis, au Brésil et au Cap-Vert, avec des informations concernant le sexe et le génome, pour mettre en évidence le rôle des SNP dans les caractéristiques d’un visage. Un consortium de chercheurs et d’universités mondiales participe à ce projet soutenu par des organismes américains tels que la Fondation nationale pour la science, l’Institut national de la justice et l’Institut national pour la santé.
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