La réponse à cette question semble presque aller de soi pour les spécialistes des sciences humaines et sociales et les universitaires qui considèrent essentiellement la psychiatrie comme la profession où se mêlent d'une part l'expertise médicale et d'autre part les attentes et les désirs propres à la culture.
Mais cette dualité sociale et politique, et l'hypothèse implicite que la maladie psychiatrique est sociale, politique ou, en tout cas, tout sauf factuelle, paraîtrait sans doute hérétique aux yeux de nombreux psychiatres américains. De leur point de vue, le diagnostic psychiatrique se fonde sur la science objective. Et toute intrusion de forces sociales ou politiques dans le domaine du diagnostic et du traitement sont des artefacts, que l'on se doit de "neutraliser" et d'éliminer.
Le DSM, la "bible du diagnostic"
Prenons par exemple la rhétorique à l'œuvre dans le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (Diagnostic and Statistical Manual, ou DSM). LeDSM est produit par une cabale d'experts en psychiatrie et il définit les paramètres de la maladie mentale et, par extension, de la santé mentale. Ses auteurs soutiennent que le manuel représente non pas des imaginaires sociaux ou politiques mais plutôt les résultats obtenus, grâce à des recherches révolutionnaires, dans des domaines comme la "physiologie du cerveau" et "l'influence des gènes au long de la vie", et évalués par des "techniques scientifiques diverses, des outils d'imagerie cérébrale aux nouvelles méthodes sophistiquées d'analyse mathématique des données de la recherche".
Le DSM est souvent surnommé "la bible du diagnostic" de la psychiatrie américaine; le livre communique textuellement l'idée (posée comme principe) que la psychiatriefonctionne à travers des systèmes de classification et de codification scientifique de telle manière que les cliniciens peuvent observer objectivement leurs patients et les diagnostiquer avant d'entamer un traitement.
Et en effet, sous plusieurs aspects, le DSM ressemble à une bible et agit comme tel. Dans sa version la plus récente, le DSM 5, énorme volume, atteint 947 pages et rappelle par son format imposant les Saintes Écritures. Et comme tout texte religieux qui se respecte, le DSM exige de ses ouailles une certaine adhésion. Les praticiens de la santé mentale, aux États-Unis, doivent utiliser les critères du DSM pour poser le diagnostic de leurs patients, sans quoi ils ne sont pas remboursés de leur travail. Et la plupart des patients américains doivent être diagnostiqués avec des maladies définies selon les termes du DSM s'ils souhaitent bénéficier d'une couverture financière pour leurs consultations, leurs médicaments ou leurs hospitalisations.
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