Par François Béguin
Le durcissement de l’arsenal répressif permettra-t-il d’enrayer le phénomène du binge drinking, ou « biture express » ? C’est le pari qu’a voulu faire la ministre de la santé, Marisol Touraine, mercredi 15 octobre, en présentant son projet de loi santé. La pratique, qui consiste à boire beaucoup d’alcool très vite, s’est fortement développée chez les moins de 25 ans. Mais la sévérité accrue préconisée par la ministre laisse dubitatifs plusieurs spécialistes de l’addiction.
Regrettant que « trop de soirées se transforment en beuveries », la ministre de la santé a proposé trois nouvelles mesures pour« protéger les jeunes des ravages de l’alcool ». Le fait de« provoquer directement un mineur à la consommation excessive d’alcool » sera puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende. Une disposition qui pourra concerner aussi bien un vendeur d’alcool qu’un tenancier de bar ou un organisateur de soirée.
Les sanctions prévues contre le bizutage, qui répriment déjà les actes « humiliants ou dégradants », seront étendues à toute personne incitant autrui à « consommer de l’alcool de manière excessive », une infraction passible de six mois d’emprisonnement et de 7 500 euros d’amende.
PROLONGEMENT DES MESURES DE ROSELYNE BACHELOT
Enfin, la vente de tout objet donnant une « image sympathique de l’ivresse », comme des coques illustrées de smartphones ou des tee-shirts, sera interdite aux mineurs. Les jeux incitant sur Internet à la consommation excessive d’alcool seront interdits.
Toutes ces mesures s’inscrivent dans le prolongement de celles prises par Roselyne Bachelot en 2009. La ministre de la santé d’alors avait prohibé la vente d’alcool à l’ensemble des mineurs – alors qu’elle était auparavant interdite aux seuls moins de 16 ans –, mis fin aux « open bars » dans les soirées étudiantes et fait disparaître les boissons alcoolisées des stations-service la nuit.
En 2011, en dépit de ces mesures, plus d’un jeune de 17 ans sur deux (53 %) disait avoir bu plus de cinq verres en une seule occasion au cours des trente jours précédents, selon les chiffres de l’Office français des drogues et toxicomanies. Les données 2014 sont attendues dans les prochaines semaines.
Après l’annonce des mesures voulues par Mme Touraine, Amine Benyamina, psychiatre-addictologue à l’hôpital Paul-Brousse de Villejuif (Val-de-Marne), avoue sa « réserve » face à une politique qu’il qualifie de « louable » mais « hors-sol ». Il s’interroge notamment sur « l’applicabilité » de ces mesures chez une population jeune, qui ne va « pas changer ses habitudes parce que la loi se durcit ». « Regardez aux Halles le nombre de personnes avec des casquettes ou des tee-shirts représentant des feuilles de cannabis, alors même que c’est interdit », souligne le médecin.
« AGIR SUR LES HABITUDES DE CONSOMMATION »
« Les mesures annoncées par Mme Touraine ne sont ni scandaleuses ni liberticides », commente Jean-Pierre Couteron, le président de la Fédération Addiction. « On resserre l’étau autour de la facilitation de l’accès de l’alcool aux jeunes, dit-il. Ce n’est pas mal. » Pour autant, prévient-il, « il y a un équilibre à trouver » pour ne pas « stigmatiser n’importe quel jeune faisant la fête ».
« Il faut agir sur les habitudes de consommation et pas seulement mettre un gendarme derrière chaque étudiant », renchérit Alexandre Leroy, le président de la FAGE, une organisation représentant 2 000 associations étudiantes. La structure a publié mercredi une enquête sur les habitudes de consommation d’alcool, à laquelle 3 000 étudiants ont répondu. 77 % d’entre eux ont reconnu boire avant d’aller en soirée. « Il faut donc faire attention à ne pas déplacer le problème dans des sphères privées où plus personne ne peut agir », souligne M. Leroy.
« L’arsenal législatif existant est très largement suffisant », analyse André Reichardt, sénateur (UMP, Bas-Rhin) et coauteur en 2012 d’un rapport sur l’hyperalcoolisation des jeunes lors des rassemblements festifs. « Il y a deux ans, on a eu l’impression que cela ne servait à rien de surenchérir dans la répression, dit-il. Je ne suis pas sûr qu’on règle le problème en prenant de nouvelles mesures. On risque plutôt de créer de nouveaux comportements déviants. »
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