Est-ce l’air du temps ? Le médecin de campagne est à la mode, non pas dans les faits, mais dans les mots ou dans les photos. Un livre, une expo, un récit. Le médecin de campagne a toujours eu une place à part, celle de la bonne médecine, celle où l’écoute est essentielle, où le soin est somme toute secondaire. Il est là, il se déplace, c’est souvent un homme. Il a un grand cartable, n’est pas très bien habillé, rien à voir avec le nœud papillon du chirurgien hospitalier. Il a souvent, allez savoir, le regard triste ou fatigué. Il vient, puis repart. C’est ce que l’on appelle une visite. Cette médecine n’existe presque plus, une médecine isolée, individuelle, où tout se jouait alors dans la relation individuelle. Et au regard de ce passé, le médecin de campagne se raconte aujourd’hui sous le prisme d’une nostalgie.
«Où partait mon père chaque matin après m’avoir déposé à l’école ? se demande joliment le photographe Denis Bourges. Afin de comprendre, je l’ai suivi durant sa dernière année d’exercice ; je l’ai suivi dans son autre vie. Pour savoir quelle autre famille il allait inlassablement consulter jusqu’à tard le soir…» Il l’a donc suivi, et il a eu la bonne idée de ne pas s’arrêter là. «Afin d’inscrire ce travail dans le temps, j’ai voulu poursuivre avec [un] jeune médecin, il me semblait important d’actualiser les images», écrit-il. Et d’ailleurs, même lui l’avoue : alors qu’en trente ans la médecine, y compris de proximité, a été totalement bouleversée, là on dirait que le temps s’est arrêté. «Les gestes restaient les mêmes ; au chevet des hommes, avec toujours la même écoute, attentive et rassurante. Arpentant la campagne avec Christophe [ce jeune médecin, ndlr], nous arrivions chez les mêmes patients de papa, qui m’acceptaient sans problème…»
Le vieux médecin comme le jeune se ressemblent. On voit l’un profiter de sa visite pour changer une ampoule, la patiente étant handicapée, on voit l’autre dans ces décors éternels de fermes où la cuisine est le salon, le lieu où l’on ausculte. Les deux sont comme des accompagnateurs du grand âge. Ils voient de vieux patients, ils sortent leur stéthoscope, le vieux fermier garde sa casquette, et comme toujours à la fin il remplit l’ordonnance. Il y a aussi cette belle photo où le médecin, avec ses trois vieux patients, sourit en attendant que le café passe. Peut-être est-ce la grande différence avec la médecine, là, le médecin semble prendre son temps. On dirait même qu’il a le temps.
«Médecin de campagne» Photographies Denis Bourges, préface Martin Winckler, aux Editions de Juillet, 35 euros.
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