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jeudi 14 août 2014

Sylvie ou la volonté de bien faire

LE MONDE CULTURE ET IDEES | Par 
« Nous, on n’a pas de métier », remarque Sylvie avec un sourire de gamine. « Ce sont les hommes qui travaillent. » Cette bonne blague, elle la partageait avec ses amies, quand les enfants étaient encore petits et qu’il « fallait toujours avoir un plan A, un plan B, un plan C » en cas de pépin. Aujourd’hui que son fils a 21 ans et sa fille 17, elle se reconnaît dans ses amies qui ont « entre 30 et 50 ans » : « Elles vivent ce que je vivais à l’époque. » 
« Pas de métier », pour Sylvie, c’est agent hospitalier, puis aide-soignante, puis infirmière, puis responsable d’un service de soins à domicile dans la région parisienne. Un travail, pour le père de ses enfants, c’est artisan. « J’étais dans le public et lui dans le privé. » Soit des horaires fixes pour elle et pas pour lui. Devinez qui s’organise. « C’était plus simple. »

« Je partais à 6 heures du matin. Mon mari commençait tôt aussi. Pour la crèche, c’était compliqué. Les beaux-parents faisaient le relais. » Sylvie termine sa journée, vers 15 heures.« J’étais toujours là pour la sortie de l’école. Ils n’ont jamais été à la cantine ou à la garderie. » Leur père rentre plus tard. Et il fait de la musique. Il joue dans deux groupes. Ce qui fait deux répétitions par semaine. « Si j’avais voulu sortir un autre soir,nuance Sylvie, j’aurais pu, moi aussi. » Longtemps, elle travaille le week-end, une bonne époque, à tout prendre. Les enfants sont encore tout petits : « Leur père s’en occupait. Avant de partir, je préparais les mesures des biberons, tout était bien expliqué. » 
L’avantage, ce sont les lundis et mardis de repos. Elle les appelle « mes petits jours de semaine ». Elle les apprécie (« Je voyais mes copines »), n’en abuse pas : « Je venais chercher ma fille tôt à la crèche. Et j’en profitais pour faire le ménage. Je compensais. » 
A la maison, la répartition des tâches se fait d’elle-même. Sans surprise. Lui fait les travaux. Elle se charge de l’entretien quotidien. « Il me disait : “Qu’est-ce que je peux te faire ?”, comme si c’était pour rendre service… Quand je rentrais à la fin du week-end, je m’étonnais : “Tu n’as pas fait de machine ? Tu n’as pas étendu le linge ?” Il me répondait : “Mais tu ne me l’as pas dit !” » Elle pense aujourd’hui qu’elle aurait pu lui demander de passer l’aspirateur. « Il l’aurait fait. » 
C’est elle qui pare aux imprévus. « Petit, mon fils était souvent malade. Moi, je ne pouvais pas abandonner les patients. Je prenais la voiture et je faisais l’aller-retour en Seine-et-Marne pour le déposer chez mes parents. » Elle qui suit les rendez-vous chez le pédiatre, les scolarités et les loisirs enfantins. « Quand mon fils est entré au CP, j’ai pris le mercredi. On veut qu’ils aient des activités. Mais quand ils sont petits, ça ne dure pas plus d’une heure. Alors on vient, on reste, on attend. » Le petit garçon fait de l’initiation à la musique, puis du foot, puis du « multisport », puis du judo… Sa mère suit. A la différence de sa sœur qui s’adapte facilement à la vie d’élève, lui peine. « Les devoirs, c’était moi. Je disais à mon mari : “Il faut qu’il revoie sa leçon.” Lui était plutôt pour le laisser autonome. Je vérifiais que tout était fait. Je m’occupais des cahiers de vacances en été. Je l’ai porté jusqu’en seconde. » Le jeune homme a obtenu son BTS :« C’est ma petite fierté avec mon fils : on y est arrivés. » 
Portée par la volonté de bien faire, elle ne se berce pas d’illusions.« Ça me rassurait d’être derrière lui. Tout ça nous fait nous sentir utiles, voilà. Quand je l’ai lâché, j’ai fini par m’apercevoir qu’il se débrouillait très bien… »

« Ce sont les femmes qui induisent ces situations de déséquilibre. Je n’en connais pas beaucoup qui arrivent à déléguer »

Tout en considérant que son mari n’a jamais été « très carré », elle reconnaît volontiers sa part dans le déséquilibre. « Ce sont les femmes qui induisent ces situations. Je n’en connais pas beaucoup qui arrivent à déléguer, remarque-t-elle.On veut être une mère excellente. On est prête à suivre tous les diktats. » Elle évoque celles qui ronchonnent : « Tu verrais comment il les a habillés… Il n’a rien assorti ! » Qui se plaignent : « Elles sont capables de délires maniaques pour une lessive. Résultat, le type renonce : “Je n’étends plus la lessive, ce n’est jamais bien. Les femmes sont autoritaires. Elles veulent rester maîtresses chez elles. Bien sûr, on n’en sort plus. » 
Les enfants entrent dans l’adolescence quand le couple se sépare. Le divorce ne change pas fondamentalement la donne. Elle reste dans la maison et ne reçoit pas de pension alimentaire : « C’était juste. Je gagnais plus que lui et j’habitais une grande maison avec un jardin. Lui est resté longtemps sans logement. » Les enfants vivent chez elle. « J’ai demandé la garde. Mes horaires étaient plus pratiques que les siens. » Il n’y a ni week-ends ni vacances partagées, du moins les premières années. Horaires, salaire, logement, rien ne s’y prête. Pour les congés, elle s’arrange avec la famille, avec les amis, l’entourage, qui fait « soupape ». Leur père passe voir les enfants chez elle, les invite à manger dehors et garde avec eux « des rapports très proches ». Mais c’est toujours Sylvie qui mène la barque, qui vit les « mini-conflits » permanents de l’adolescence, qui pose les interdits, et qui convoque le père quand il faut remettre les pendules à l’heure…« Je prends les décisions au quotidien. Je suis dans le rôle de la méchante. Il a du bol. Il a gardé une vie de grand adolescent. »Elle ne lui en fait pas reproche. « Par rapport à d’autres, on s’en sort bien. » Et résume : « Je l’ai toujours materné. » 
Le constat est d’autant plus clair qu’elle a noué une nouvelle relation avec un homme un peu plus âgé qu’elle, tout jeune grand-père. Ils n’ont plus d’enfant en commun, et la vie a pris un tour très différent de celui qu’elle connaissait. Pas forcément facile tous les jours : « J’ai encore des ados à la maison et mon compagnon n’a pas forcément les mêmes idées que moi sur l’éducation. » Mais plus équilibré : « Il pense que j’ai oublié comment on faisait les courses… C’est lui qui se charge de remplir les placards et le congélo quand il part en voyage pour son travail : “Tiens, j’ai pensé, pour toi et les enfants”… ». Le nouveau compagnon prépare les repas et Sylvie « ne repasse plus pour personne ». Le sourire enfantin revient : « Là, je fais ma princesse. » 
La « princesse », qui semble éprouver plus de fierté que de culpabilité pour son nouveau statut, se retrouve digne héritière de sa propre mère. Mariée et mère très jeune, cette dernière cesse de travailler comme secrétaire pour élever ses deux filles… et constater un jour que la passion avait fait long feu. « Avec le temps, son mari était devenu un ami. » A la faveur d’un voyage, elle rencontre un homme plus jeune qu’elle, dont elle tombe amoureuse. Elle quitte mari et enfants et déménage pour le rejoindre. « Le divorce était moins facile qu’aujourd’hui. On ne se séparait pas à l’amiable. » Sylvie a alors 8 ans. « Elle m’a envoyé chez ma grand-mère et a laissé ma sœur avec notre père. Aujourd’hui on crierait au scandale. » Le nouveau couple a deux enfants et la mère reprend les deux fillettes au sein de la famille. Quand Sylvie fait le bilan de la séparation et des retrouvailles, elle dit simplement : « Ça s’est bien passé. » 
On ne perçoit ni ressentiment ni jugement dans le regard que la fille porte sur la mère. « Si elle avait attendu qu’on grandisse, elle n’aurait jamais refait sa vie. » Cette femme qui choisit de « vivre sa vie » « aura été plus femme que mère ». « Elle aimait sortir. Elle ne jouait pas avec nous, elle ne nous lisait pas d’histoires. C’était une autre époque. Les mentalités étaient différentes. Il n’y avait pas de parents d’élèves, on ne faisait pas tous ces goûters d’anniversaire… » Sylvie compare : « J’aurai été plus mère qu’elle. Et moins femme. Jusqu’à mon divorce. » 
Les deux filles de la jeune mère rebelle n’ont pas suivi tout à fait le même chemin. « Quand il a eu un fils, le mari de ma sœur a arrêté de travailler. Il est resté deux ans à la maison. Les gens les traitaient de soixante-huitards, de Bisounours. Le seul regret qu’il a jamais eu, c’est quand il a calculé ses points de retraite… »Viennent ensuite deux filles, pour lesquelles, même s’il a repris le travail, leur père est un « père poule »« Ma sœur dit qu’elle ressemble à maman, qu’elle n’est pas seulement maternelle. » 
« Je me demande quel modèle auront mes enfants », se demande Sylvie. Pas un modèle unique, certainement.


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